Les années 80 et 90 ont marqué un tournant décisif dans l’industrie cinématographique, caractérisé par l’émergence de blockbusters à grand budget, de films de franchise et de productions majeures de studio, modifiant la façon dont les films étaient produits, commercialisés et perçus.
L’un des changements majeurs de cette époque concernant les adaptations littéraires a donc été le déplacement vers des adaptations à gros budget et le début de la création de franchises cinématographiques.
L’arrivée des blockbusters et l’adaptation d’oeuvres ambitieuses
L’ambition narrative et visuelle de ces adaptations a ouvert la voie à une nouvelle ère du cinéma où le potentiel de succès commercial et critique d’une adaptation littéraire n’était limité ni par la fidélité stricte au texte ni par les conventions de genre établies.
Deux mouvements combinés ont permis l’éclosion de ces blockbusters :
- Les avancées en effets spéciaux ont permis aux cinéastes d’adapter des œuvres littéraires ambitieuses visuellement, ouvrant de nouvelles dimensions à l’exploration narrative.
- La commercialisation du cinéma permettant de générer d’énormes revenus, a privilégié les histoires à grand spectacle, à concept fort et avec des budgets supérieurs à 10 millions de dollars dans les années 80 (équivalent à plus de 33 millions aujourd’hui avec l’inflation) et supérieurs à 100 millions de dollars dans les années 90 (c’est-à-dire plus de 225 millions aujourd’hui).
On peut par exemple citer :
- Blade Runner (1982), librement inspiré du roman Do Androids Dream of Electric Sheep? de Philip K. Dick paru en 1968 et réalisé par Ridley Scott, est devenu un jalon de la science-fiction cinématographique, notamment grâce à son utilisation révolutionnaire des effets spéciaux pour créer un avenir dystopique saisissant (avec un budget de 28 millions de dollars, équivalent à plus de 72 millions aujourd’hui).
- Qui veut la peau de Roger Rabbit (1988), adapté du roman Qui a censuré Roger Rabbit ? de Gary K. Wolf de 1981 et réalisé par Robert Zemeckis. Avec un budget de 70 millions de dollars (équivalent de plus de 180 millions aujourd’hui), ce film a marqué un tournant dans l’utilisation des effets spéciaux en combinant animation et prises de vue réelles de manière inédite, repoussant les limites de ce qui est possible dans une adaptation littéraire (les images de synthèse facilitant le procédé n’arriveront qu’au cours des années 1990).
Mais également des adaptations hors du cinéma de genre :
- L’Éveil (1990) adapté du livre d’Oliver Sacks écrit en 1973, écrit par Steven Zaillian (récompensé aux Oscar 1991 du Meilleur Scénario adapté) et réalisé par Penny Marshall avec un budget de 31 millions de dollars (plus de 72 millions aujourd’hui). Ce film raconte l’histoire vraie d’un neurologue qui découvre un traitement pour des patients atteints d’encéphalite léthargique.
- Forrest Gump (1994), adapté du roman de Winston Groom paru en 1986, écrit par Eric Roth et réalisé par Robert Zemeckis pour un budget de 65 millions de dollars (équivalent à plus de 134 millions aujourd’hui), illustre parfaitement comment une adaptation peut devenir un phénomène culturel, engrangeant 678 millions de dollars dans le monde, remportant 6 Oscar et permettant la vente de 1,7 millions d’exemplaires du livre après la sortie du film.
Expansion des univers en franchise, sequel & spin-off
Développer une oeuvre pour en faire une franchise représente tout aussi bien une expérience immersive de fidélité pour les spectateurs qu’une opportunité commerciale sans précédent pour les studios.
Cette manière d’appréhender une histoire représente une rupture significative par rapport aux stratégies cinématographiques antérieures, où les adaptations tendaient à se concentrer (en général) sur le seul matériel proposé des œuvres dites “autonomes”.
Il y a désormais deux manières d’adapter une oeuvre littéraire avec une stratégie de franchise :
- La première est de partir d’une oeuvre “autonome” que les scénaristes adapte ensuite “librement” en envisageant un arc narratif sur le long terme, avec des suites et des dérivés.
- La deuxième est de partir directement d’oeuvres littéraires sérielles. En offrant d’ores et déjà un vivier d’histoires propre à un univers, une récurrence et des évolutions de personnages, elles deviennent des véritables sagas cinématographiques.
Pour la première catégorie, nous pouvons citer :
- Rambo (1982), le premier opus de la saga, est adapté du roman éponyme de David Morrell publié en 1972. Les quatre opus suivants (Rambo 2 : La Mission, Rambo 3, John Rambo et Rambo: La Dernière Mission) sont des scénarios originaux.
- Die Hard (1988), adapté du roman Nothing Lasts Forever de Roderick Thorp publié en 1979 et réalisé par John McTiernan. Le deuxième volet de la sage, 58 Minutes pour Vivre (1990) sera également inspiré du roman éponyme de Walter Wager, mais les trois opus suivants (Une Journée en enfer, Die Hard 4 : Retour en enfer et Die Hard : Belle journée pour mourir) sont des scénarios originaux.
Quant aux oeuvres littéraires sérielles adaptées durant ces années nous avons :
- Le Silence des Agneaux (1991), adapté du deuxième roman de la tétralogie de Thomas Harris, écrit par Ted Tally et réalisé par Jonathan Demme. Ce film a lancé une franchise autour du personnage d’Hannibal Lecter, avec deux suites et un préquel adaptés des trois autres romans de Thomas Harris.
- Jurassic Park (1993), adapté du roman éponyme de Michael Crichton paru en 1992 qu’il a co-écrit avec David Koepp. Ce film réalisé par Steven Spielberg a également posé les bases pour l’une des franchises les plus lucratives de l’histoire du cinéma. Le deuxième opus, Le Monde Perdu (1997) sera également adapté de la suite de la saga écrite par Michael Crichton et parue en 1995.
Cette volonté d’expansion des univers narratifs va atteindre son paroxysme à partir des années 2000 grâce à la révolution numérique, impactant aussi bien les étapes de production que de diffusion.
Le boom des années 2000 : des adaptations globalisées aux ambitions croissantes
Caractérisée par la révolution numérique, cette ère a vu une augmentation des adaptations à travers une gamme variée de médias, y compris les plateformes de streaming, et une tendance vers des narrations plus diversifiées et globales.
L’impact de la technologie numérique sur les oeuvres adaptées
L’avancé de la technologie numérique de ce XXIème siècle a permis d’ouvrir le champ vers des adaptations plus ambitieuses et des mondes de fantasy sans limites.
Il y a évidemment les adaptations d’Harry Potter, du Seigneur des Anneaux, de Games of Thrones ou encore Le Monde de Narnia ou Les Royaumes du Nord. Mais la technologie a également permis de repousser les limites de l’adaptation littéraire pour les films suivants :
- L’Odyssée de Pi (2012), adapté du roman de Yann Martel (2001) et réalisé par Ang Lee, ce film a utilisé de manière innovante les CGI (images générées par l’ordinateur) pour le voyage d’un garçon et d’un tigre en plein océan.
- Quelques minutes après minuit (2016), adapté du roman de Patrick Ness publié en 2011 et réalisé par Juan Antonio Bayona, combine animation et effets spéciaux pour offrir une représentation visuelle puissante du deuil.
- Ready Player One (2018) adapté du roman d’Ernest Cline paru en 2011 et réalisé par Steven Spielberg. Grâce aux CGI et à la technologie numérique, ce film recrée des mondes fantastiques peuplés de références culturelles, d’avatars et de paysages numériques.
L’émergence de la narration transmédia et transnationale
Les plateformes de streaming, telles que Netflix, Amazon Prime et Hulu, redessinent le panorama des adaptations littéraires en élargissant le spectre des œuvres portées à l’écran, aussi bien en terme de genre et d’ambition narrative, que de nationalités.
Cette évolution contribue non seulement à une diversification du contenu disponible mais ouvre également la voie à des adaptations étrangères, offrant aux œuvres littéraires une nouvelle vie et une portée bien plus vaste qu’auparavant.
On peut par exemple citer :
- Les Bracelets Rouges (2011-2013) inspirée du livre Le Monde soleil par Albert Espinosa, cette série dramatique espagnole raconte l’histoire d’adolescents vivant à l’hôpital et confrontés à leurs maladies avec courage et optimisme. Adaptée dans sept pays, dont les Etats-Unis et la France depuis 2018, cette série a touché un public international grâce à sa diffusion sur des plateformes de streaming.
- L’Amie Prodigieuse, (2018-présent) est une série italienne adaptée des célèbres romans d’Elena Ferrante, qui explore l’amitié complexe entre deux filles, Lila et Elena, dans l’Italie d’après-guerre. Avec HBO et la Rai italienne, la série a atteint un public mondial (elle est diffusée sur Canal + puis France Télévisions en France).
- Le Seigneur de Bombay (2018-2019), adaptée du roman éponyme de Vikram Chandra publié en 2006, est la première série originale Netflix en Inde et est accessible dans 191 pays.
Une autre dimension importante de cette période est l’émergence de la narration transmédia, où les adaptations ne se limitent pas à un seul format mais s’étendent à travers divers médias comme les films, séries ou encore les jeux vidéo, enrichissant l’expérience narrative globale et engageant le public de manière encore plus interactive :
- The Witcher, adaptée de la saga littéraire polonaise Le Sorceleur, écrite par Andrzej Sapkowski entre 1986 et 2013. En plus de la série Netflix, l’univers de The Witcher s’est étendu à des jeux vidéo très populaires et à une série animée, offrant aux fans divers points d’entrée dans le monde fantastique créé par Andrzej Sapkowski.
- Le Tour du Monde en 80 Jours de Jules Verne publié en 1872 a été adapté en film, série télévisée, série animée et deux fois en jeu vidéo, en 2005 et 2014. Cette dernière édition, développé par inkle Ltd., transforme le roman classique en une aventure interactive où les décisions prises par les joueurs influencent le déroulement de l’histoire, les itinéraires possibles, et les interactions avec les personnages qu’ils rencontrent, rendant chaque partie unique.
- Les Piliers de la Terre, la saga de Ken Follett écrite en 1989, a été adaptée en série télévisée et en jeu vidéo. Développé par Daedalic Entertainment en 2017, le jeu transforme le récit historique dense et complexe de Follett en une aventure graphique point-and-click.
L’explosion d’un genre bien spécifique : les adaptations Young Adult
Le succès commercial de sagas comme Twilight et The Hunger Games a démontré le potentiel lucratif des adaptations YA, combinant les tendances des dernières décennies sur l’adaptation des oeuvres littéraires : l’explosion des franchises, des gros budgets, et une commercialisation du cinéma très influente sur les adolescent·es et jeunes adultes.
Littérature s’adressant essentiellement aux 16-25 ans, les romans Young Adult connaissent une explosion de leur audience au fil des années 2000 et 2010 ; là où à peine 250 livres considérés comme YA étaient publiés dans les années 1990, c’est plus de 7000 livres dans les années 2010.1
En adaptant ces romans au cinéma, les studios attirent non seulement les lecteurs fidèles mais aussi un large éventail de spectateurs intéressés par des récits abordants des thèmes universels (comme l’amour, l’amitié, la recherche de soi) tout en incorporant des questions contemporaines (comme le militantisme social, les dystopies reflétant des inquiétudes sociétales, ou les défis de l’âge adulte).
Petit horizon des plus grands succès des adaptations de YA :
- La saga Twilight (2008-2012), adaptée des romans de Stephenie Meyer, a également connu un immense succès commercial, avec une recette totale au box-office mondial de plus de 3,3 milliards de dollars pour les cinq films. Le dernier film, « Twilight, chapitre V : Révélation, 2e partie », a réalisé plus de 830 millions de dollars.
- La série de films The Hunger Games (2012-2015), basée sur les livres de Suzanne Collins, a rapporté environ 2,97 milliards de dollars au box-office mondial pour les quatre films. Le premier film a généré près de 695 millions de dollars, montrant la popularité croissante de ce genre.
- Bien que n’ayant pas atteint le même niveau de succès que les franchises mentionnées précédemment, la série Divergente (2014-2016) a tout de même été significative, avec le premier film rapportant environ 288 millions de dollars au niveau mondial.
- La série Percy Jackson, basée sur les livres de Rick Riordan, a connu deux adaptations cinématographiques : Percy Jackson & the Olympians: The Lightning Thief (2010) et Percy Jackson: Sea of Monsters (2013). Bien que n’ayant pas atteint le même niveau de succès commercial que les franchises précédemment mentionnées, « The Lightning Thie » a tout de même généré environ 226 millions de dollars au box-office mondial.
- La trilogie Le Labyrinthe (2014-2018), adaptée des romans de James Dashner, a bien performé au box-office, avec le premier film rapportant environ 348 millions de dollars à l’échelle mondiale.
Conclusion
À travers chacune de ces époques, l’art de l’adaptation littéraire au cinéma a constamment évolué, influencé par les progrès technologiques, les changements culturels et l’évolution des goûts du public.
De la narration visuelle de l’ère du film muet aux récits numériques d’aujourd’hui, les scénaristes ont joué un rôle crucial dans la transformation d’œuvres littéraires en expériences visuelles et immersives, chaque époque présentant ses propres défis et opportunités.
Quand est-il alors des grandes tendances actuelles et à venir ?