Si toute médaille a son revers, celle du sport est proportionnelle aux émotions qu’il nous procure. Les problèmes de conscience des sportifs liés à l’intégrité, au dopage et à la corruption fournissent un terrain fertile pour l’exploration narrative.
Ces problématiques étant inhérentes à l’écosystème sportif, de nombreux récits ont depuis longtemps exploré ces thématiques moins reluisantes, invitant les spectateurs à (re)considérer les dilemmes éthiques et moraux auxquels sont confrontés les athlètes, ainsi que le coût réel de la poursuite de la gloire.
Corruption et critique du système
Dès les années 1950, des films commencent à explorer les questions de corruption, notamment dans le milieu de la boxe, qui était alors le sport le plus représenté à l’écran.
C’est le cas par exemple dans Nous avons gagné ce soir (1949, Etats-Unis), écrit par Art Cohn, d’après le poème de Joseph Moncure March, qui raconte l’histoire d’un boxeur raté en fin de carrière qui doit se « coucher » pour son dernier match, mais qui décide de le mener à terme, provoquant la colère de la pègre.
C’est également le thème de Plus dure sera la chute (1956, Etats-Unis), écrit par Philip Yordan basé sur un roman de Budd Schulberg, qui dénonce également la corruption dans le monde de la boxe professionnelle.
Quelques années plus tard, la représentation de la corruption sort des rings et devient un sujet dans d’autres disciplines sportives :
- La Bande des quatre (1979, Etats-Unis), écrit par Steve Tesich, parle de la tricherie dans le cyclisme. C’est l’un des premiers films à mettre en scène les questions d’éthique et d’intégrité dans le sport amateur et semi-professionnel. Le film est récompensé de l’Oscar du Meilleur Scénario en 1980.
- Coup de Tête (1979, France), écrit par Francis Veber, oscille entre comédie et drame pour dévoiler la corruption dans le monde du football de province.
- L’allenatore nel pallone (1984, Italie) est une comédie réalisée par Sergio Martino. Oronzo Cana (interprété par Lino Banfi) se retrouve à la tête d’une équipe de Serie A mal préparée et considérée comme l’une des plus faibles du championnat. Le film dépeint avec humour les longueurs extrêmes auxquelles l’entraîneur est prêt à aller pour motiver son équipe et éviter la relégation, tout en naviguant à travers les pièges et les absurdités du football professionnel italien des années 1980.
- Eight Men Out (1988) raconte l’histoire vraie du scandale des Black Sox de 1919, où huit membres de l’équipe de baseball des Chicago White Sox ont été accusés d’avoir perdu intentionnellement les World Series en échange d’argent de parieurs.
Une autre facette de la dénonciation de l’écosystème sportif est celle de la déshumanisation du jeu et de la violence des fans. C’est l’angle que choisissent Jean-Pierre Mocky et Jacques Dreux dans À mort l’arbitre (1984, France).
Le film raconte l’histoire d’un arbitre de football interprété par Eddy Mitchell, qui devient la cible de supporters violents après avoir sifflé un penalty entraînant la défaite de l’équipe locale. Ce qui commence comme une série de menaces et d’intimidations de la part des fans en colère escalade rapidement en une chasse à l’homme mortelle, mettant en péril la vie de l’arbitre et de sa famille.
Comme pour synthétiser à lui seul tous les travers de l’écosystème sportif, L’Enfer du Dimanche, réalisé par Oliver Stone, sort en 1999.
Ce film nous plonge dans les coulisses tumultueuses d’une équipe professionnelle de football américain, les Miami Sharks. Oliver Stone, connu pour son approche souvent critique et controversée des institutions américaines, utilise ici le football américain pour montrer les aspects moins glorieux de la “machine business sport”, comme la manipulation des joueurs, l’abus de substances pour améliorer la performance, et les sacrifices personnels et moraux exigés des athlètes.
Le dopage
Un des premiers films à aborder ouvertement le sujet du dopage dans le sport est 40 Hommes à abattre (1979, Etats-Unis).
Basé sur le livre de Peter Gent, un ancien joueur de la NFL, ce film à la croisée du drame et de la satire offre un regard critique sur le football américain professionnel et met en lumière l’utilisation de médicaments pour gérer la douleur et améliorer les performances.
La NFL n’a d’ailleurs pas été tendre avec ceux qui ont participé à ce film. Tom Fears, membre du Hall of Famer et qui était conseiller sur le film, avait des contrats avec trois équipes de la NFL pour leur trouver des joueurs – tous ont été annulés après la sortie du film1.
On peut également citer Le Programme (1993, Etats-Unis), écrit par David S. Ward et Aaron Latham. On voit dans le film les pressions exercées sur les athlètes universitaires américains dans le football américain, y compris l’usage de stéroïdes.
Depuis les années 2000, les scandales de dopage qui éclaboussent le monde du cyclisme trouvent un écho dans les scénarios des années suivantes :
- Le Vélo de Guislain Lambert (2001, France et Belgique), écrit par Olivier Dazat, Philippe Harel et Benoît Poelvoorde, raconte l’histoire de Guislain Lambert, déterminé dans son rêve de victoire et de gloire sportive, quitte à franchir le pas du dopage.
- The Program (2015, France et Royaume-Uni), écrit par John Hodge et réalisé par Stephen Frears, raconte la chute de Lance Armstrong. Le film est inspiré du livre Seven Deadly Sins: My Pursuit of Lance Armstrong de David Walsh, journaliste sportif qui a joué un rôle-clé dans la révélation du scandale de dopage dans le cyclisme.
La victoire à tout prix
Les dangers ne viennent pas que de l’extérieur. La mentalité de “la victoire à tout prix”, souvent glorifiée dans la culture sportive, est analysée et désacralisée par les scénaristes qui révèlent les sacrifices moraux et personnels qu’elle demande de la part des athlètes.
Ces films explorent la tension entre la quête de gloire et la préservation de l’intégrité personnelle et professionnelle.
Voici quelques-uns des premiers films notables traitant des revers de cette mentalité :
- Champion (1949, Etats-Unis), écrit par Carl Foreman, met en vedette Kirk Douglas dans le rôle de Midge Kelly, un boxeur ambitieux qui se fraye un chemin vers le sommet, mais en compromettant ses valeurs et en trahissant sa famille et ses amis – même ceux qui lui ont permis d’être là où il est.
- Le Prix d’un Homme (1963, Royaume-Uni), écrit par David Storey, raconte l’histoire d’un joueur de rugby à XIII qui connaît une ascension sociale fulgurante. Le film aborde les thèmes de l’exploitation des athlètes et de la brutalité inhérente au sport professionnel.
- L’Arnaqueur (1961, Etats-Unis), écrit par Sidney Carroll et R. Rossen, d’après le roman de Walter Tevis, examine la mentalité de « victoire à tout prix » dans le monde du billard. Le personnage principal, Eddie Felson (interprété par Paul Newman), est un joueur de billard tellement obsédé par la victoire qu’il va finir par tout perdre autour de lui.
- La Descente Infernale (1969, Etats-Unis), écrit par James Salter d’après le roman The Downhill Racers d’Oakley Hall, met en scène Robert Redford dans le rôle d’un skieur alpin déterminé à devenir le meilleur en arborant une attitude individualiste destructrice.
Les scénaristes s’inspirent également d’histoires vraies pour montrer les sacrifices psychologiques que font les athlètes dans cette recherche de victoire absolue :
- Rush (2013, Royaume-Uni), écrit par Peter Morgan, raconte l’histoire de la rivalité entre James Hunt et Niki Lauda, montrant les sacrifices et les risques pris au nom de la victoire. Leur rivalité atteint un sommet lorsqu’un grave accident sur le circuit du Nürburgring laisse Lauda gravement brûlé.
- Foxcatcher (2014, États-Unis), inspiré d’une histoire vraie et écrit par E. Max Frye et Dan Futterman, explore les relations toxiques et les obsessions de la victoire au sein du mécénat sportif, à travers l’histoire vraie d’une relation toxique entre un mécène sportif (interprété par Steve Carell) et deux lutteurs (interprétés par Channing Tatum et Mark Ruffalo).
- I, Tonya (2017, Etats-Unis) raconte avec un ton satirique l’histoire de la patineuse artistique Tonya Harding et notamment les évènements de sa vie menant à l’attaque de sa rivale Nancy Kerrigan en 1994 à coups de barre de fer.