« Certaines choses peuvent très bien passer à l’écrit et une fois mises en scène, on se rend compte que ça ne marche pas du tout, que même la situation des personnages ne marche pas géométriquement. Le storyboard permet de régler ce type de problème. »
Lionel Allaix. .
Chaque semaine, un corps de métier différent de l’audiovisuel témoigne de son rapport au scénario.
Aujourd’hui, la parole est aux storyboarders
Baptiste Rambaud accueille Lionel Allaix (Arcane, Totally Spies), Marie Eynard (Benedetta, Un Prophète), Marc-Antoine Boidin (Love Death & Robots, Oxygène), Delphine Lhomme (Mortel, Le Premier Cercle) et Philippe Leconte (Les Aventures de Tintin, Chasseurs de Dragons).
Non, un bon storyboard ne rime pas avec de beaux dessins.
Les storyboarders sont assez mal compris et peu considérés en France. Pourtant, ils fournissent au réalisateur/ à la réalisatrice des outils de travail qui permettent un gain de temps considérable. Ils situent le récit dans l’espace, lui donnent du volume et mettent en évidence certaines incohérences ou infaisabilités liées à cet espace.
Savez-vous vraiment en quoi consiste un storyboard ? Sous quelle forme il se présente ?
Connaissez-vous la différence entre un storyboard d’animation et celui d’une œuvre en prise de vues réelles ? Pourquoi la culture du storyboard est-elle si confidentielle en France ?
Attention ça va b(o)arder !
Les storyboarders entrent en scène à partir du moment où le scénario atteint un stade avancé de production. Ils sont appelés pour mettre en images ce produit écrit, le situer dans l’espace et simuler ce que l’on verra à l’écran.
« Ça va être la directrice/directeur de production en général, puis on a rendez-vous avec le réalisateur. »
Lionel Allaix
« Il faut quand même le scénario. Le storyboard intervient souvent sur des plans un peu techniques. Ça dépend du film, mais moi je n’ai pas fait tous les films en entier, j’ai travaillé sur des scènes où il y avait notamment de la 3D pour avoir une vision assez précise de ce qu’il pouvait se passer à l’image ».
Marc-Antoine Boidin
« La plupart du temps, le scénario était écrit avant. C’est au moment des repérages et de la préproduction qu’on fait le storyboard. »
Marie Eynard
Les séries d’animation : l’exception
Les storyboarders n’ont pas le même rôle en séries d’animation qu’en prise de vues réelles, voire en film d’animation. Dans ces séries, le storyboard n’est réalisé que lorsque le scénario est quasiment terminé. Il est l’équivalent du tournage : les dessins jouent les scènes.
« Tout est vraiment bien écrit et il faut que tous les designs et les décors soient prêts pour pouvoir storyboarder. C’est très cadré. (…) On fait jouer les personnages tels qu’ils vont être à l’écran. La mise en scène est très précise et sera telle qu’on l’a dessinée ».
Philippe Leconte
« En animation, tous les plans sont dessinés. Il n’y a pas d’acteurs donc il faut que tout soit assez précis pour se rendre compte si ça fonctionne ou pas ».
Marc-Antoine Boidin
Le storyboard est très réglementé car les épisodes ont des durées précises, le nombre de plans est pratiquement toujours le même. Alors comment imager au mieux le récit dans le temps imparti ?
« Le format est préétabli. Le nombre de plans doit être assez précis dans le storyboard. »
Lionel Allaix
Les étapes du storyboard
Le travail du storyboarder se découpe généralement en trois étapes. Il y a tout d’abord les dessins rough ou prédécoupage1, qui forment le storyboard, une fois mis au propre.
« Quand on a le temps, je propose souvent de faire les dessins rough. D’abord pour voir si tout est comme l’imaginait le réalisateur, si j’ai bien compris les axes, les angles, les cadrages ».
Marie Eynard
« Quand je supervise, je vois une fois le prédécoupage et je fais mes modifs. Le storyboard est nettoyé puis mis au propre. »
Philippe Leconte
Un assistant /une assistante réalise ensuite une animatique à destination des équipes d’animation.
« L’animatique, c’est dessiner et faire le montage en même temps. C’est un pré-dessin animé. En général c’est une personne annexe qui fait ça et qui fait les modifications de storyboard. »
Lionel Allaix
Le travail de mise en scène
En série d’animation, la mise en scène est entre les mains du storyboarder. Dans les autres formats, ce dernier doit comprendre la vision du réalisateur et l’intégrer à son travail.
« Un réalisateur comme Alexandre Aja a une vision très précise de ce qu’il veut faire. Il fait des mouvements de caméra et nous, on doit rendre ça en images pour que ce soit le plus fidèle possible à sa vision. »
Marc-Antoine Boidin
« Il faut arriver à traduire la vision du réalisateur et la comprendre. »
Marie Eynard
Pour autant, leur travail peut avoir une influence au tournage car il place le récit dans l’espace disponible.
« Ça m’est arrivé de storyboarder un projet où il n’y avait aucun repérage et de me rendre compte que le storyboard avait influencé leur repérage, qu’ils avaient choisi un décor qui ressemblait à ce que j’avais dessiné ».
Marie Eynard
« Il y a quelques fois où on exécute. Ou alors il n’y a pas de découpage, donc on propose. On retrouve nos idées de mise en scène ou de cadrage auxquelles le réalisateur a répondu par l’affirmative ».
Delphine Lhomme
Placer le récit dans l’espace
Le storyboarder/ la storyboardeuse est un des acteurs les plus à même de se projeter sur un plateau de tournage car il est capable de placer le récit dans l’espace. Son regard donne des indications sur la faisabilité des scènes et la manière dont l’action peut prendre place dans les décors.
« Il nous est tous arrivé d’être dans des salles avec des réalisateurs et de jouer la scène pour mieux la comprendre (…) On voit les choses en volume, c’est de la géométrie dans l’espace. Il y a quelque chose qui se soulève, qui sort du scénario quand on lit des mots et on imagine une scène (…) Le dessin met aussi en amont les problématiques de plateau. »
Delphine Lhomme
Leur travail traduit l’écrit à l’image. Il met à l’épreuve le texte et ses possibles failles.
« Certaines choses peuvent très bien passer à l’écrit et une fois mises en scène, on se rend compte que ça ne marche pas du tout, que la situation des personnages ne marche même pas géométriquement. Le storyboard permet de régler ce type de problème ».
Lionel Allaix
« C’est presque une traduction. On a un réalisateur qui a pensé un truc en mouvement, en couleur, avec du son, toute une séquence qu’on doit traduire en images fixes, en noir et blanc, sans son ».
Marie Eynard
Storyboarder en France vs aux Etats-Unis
Dans l’Hexagone (hors animation), les storyboarders travaillent seuls et ne boardent pas le film entièrement. Ils/elles sont principalement contactés pour s’assurer de la faisabilité des scènes les plus complexes ou comportant des effets visuels. Ceci s’explique par un manque de budget et de compréhension du métier.
« On n’a pas l’habitude, en France, de travailler avec des storyboarders ».
Marc-Antoine Boidin« En France il n’y a aucune culture du storyboard pour la prise de vues réelles (…) Ce sont souvent les scènes à effets spéciaux, à cascade ou les scènes compliquées avec des foules qu’on storyboard. Ce n’est pas tout le film généralement. »
Marie Eynard
Pourtant, outre-Atlantique, la culture du storyboard est bien ancrée et le budget qui lui est alloué est beaucoup plus important. Sur un même film, plusieurs storyboarders interviennent, et ce, sur l’intégralité des scènes. Le réalisateur/ la réalisatrice peut aussi les consulter pour des idées de mise en scène. C’est un moyen de s’autoriser plus de créativité.
« Paul Verhoeven, lui qui a l’habitude de bosser aux Etats-Unis, était presque déçu qu’on ne puisse pas storyboarder tout le film. (…) Pour lui, le storyboard, c’est vraiment la mise en place de tout le film. Ça lui permet d’expliquer précisément et très simplement à toute l’équipe en montrant les dessins ».
Marie Eynard
« Il n’y a qu’aux Etats-Unis où on est plusieurs sur un film en prise de vues réelles. »
Delphine Lhomme
La clarté prévaut
La beauté des dessins n’a pas d’incidence sur la qualité d’un storyboard. C’est sa clarté, ses compositions et les intentions qu’il transmet qui comptent. Le décor est souvent représenté schématiquement pour que les personnages, leurs positionnements, leurs mouvements et les angles de caméra soient les plus intelligibles.
« La principale qualité d’un storyboard c’est d’être clair, qu’au premier coup d’œil on puisse comprendre l’action ».
Marie Eynard
« En tant que storyboarder par moments il faut faire le deuil du joli et du beau, il faut aller à l’efficacité. L’image est simple, rapide, efficace, elle parle. »
Delphine Lhomme
« Quand il commence à y avoir plusieurs informations dans un plan ce n’est pas bon signe (…) Si on doit comprendre deux choses en tant que spectateur dans le même plan (…) c’est qu’il y a un problème. »
Marc-Antoine Boidin
Messages aux scénaristes
« Je suis assez horrifiée de la manière dont sont traités les scénaristes en France et du statut de scénariste. Il y a une vraie réflexion à faire là-dessus. »
Delphine Lhomme
« J’aimerais bien que les scénaristes et les storyboarders se parlent, ça serait un peu mon rêve. »
Marie Eynard
« Je regrette qu’on ne puisse pas se voir ni discuter ensemble. »
Philippe Leconte
Références de storyboardS
Les storyboards de Sylvain Despretz
« J’avais été vachement impressionnée par les storyboards de Sylvain Despretz pour Ridley Scott parce qu’il en a fait plein (…) Ils sont extraordinaires. »
(Marie Eynard)
Les fils de l’homme, d’Alfonso Cuarón.
« J’aimerais bien voir le storyboard de la séquence des Fils de l’homme, le plan séquence dans la voiture. Quand j’ai vu le film, je n’avais même pas remarqué que c’était un plan séquence. »
(Lionel Allaix)
1917, de Sam Mendes.
« Le film est toute en horizontalité, c’est la déambulation de deux personnages, et le storyboard est une ligne absolument extraordinaire. »
(Delphine Lhomme)
Le Château dans le Ciel, d’Hayao Miyazaki.
« J’étais étonné parce que c’est un dessin très transparent, subtil, pas très fourni, pas forcément très détaillé et en même temps, c’est vraiment le plan qu’on a ensuite ».
(Philippe Leconte)
- Ce sont des croquis préalables qui, une fois validés par le superviseur et mis au propre, donnent naissance au storyboard. Ils sont aussi un moyen de faire valider des idées par le réalisateur. ↩︎



