«Les scénaristes ont de plus en plus confiance en notre travail, en ce qu’on peut apporter. Ils se permettent d’écrire des choses qu’ils n’auraient peut-être pas faites il y a quelques années »
GUILLAUME LE GOUEZ.
Chaque semaine, un corps de métier différent de l’audiovisuel témoigne de son rapport au scénario.
Aujourd’hui, la parole est aux superviseurs et superviseurs des effets visuels (ou VFX)
Baptiste Rambaud accueille Roxane Fechner (Le Discours, Taken), Cédric Fayolle (Au revoir là-haut, De rouille et d’os), Yann Blondel (Le Dernier Duel, Fight Club), Guillaume Le Gouez (Benedetta, Harry Potter VII partie 2) et Olivier Emery (Blood Machines, le Saut du Diable).
La création de l’Oscar des meilleurs effets visuels en 2022 traduit la place croissante du métier dans le paysage audiovisuel. Les superviseurs deviennent peu à peu de véritables metteurs en scène. Les possibilités de création dont ils disposent boostent l’inventivité des scénaristes et des réalisateurs.
Comment les superviseurs vfx ont-ils réinventé la façon de pitcher son projet ? Comment évitent-ils au budget d’exploser face à la demande croissante de trucages ? De quelle manière abordent-ils la narration ?
Attention les yeux, l’article commence maintenant !
Un rôle nouveau de conseil
Les superviseurs VFX sont de plus en plus fréquemment consultés par les producteurs, les scénaristes et les réalisateurs pour déterminer si leur projet dispose d’un budget suffisant.
« On peut intervenir sur un traitement, très tôt, où on va nous demander notre avis. »
Yann Blondel
« Il y avait juste un concept. Il [le producteur] voulait savoir si c’était possible. Il y avait des attaques d’abeilles, donc il fallait faire des nuées en 3D. Son problème était : est-ce que ça rentre dans une économie de téléfilm ? »
Olivier Emery
Il existe une aide du CNC (l’aide sélective aux effets visuels numériques, anciennement CVS) qui attribue aux entreprises de production des fonds, dédiés à la réalisation d’effets visuels. Cette aide est accordée ou non après présentation d’un dossier, et peut être fortement influencée par le soutien d’un superviseur/ d’une superviseuse VFX et par son travail de préviz.
« Notre rapport dans la fabrication de ces dossiers (CVS) peut vraiment aider les producteurs à aller jusqu’au bout. »
Roxane Fechner
« Il y avait dix lignes de synopsis. On lui a fait 5 plans, il les a montrés à TF1 et ils lui ont signé sa convention d’écriture. »
Olivier Emery
La préviz
Né et nourri d’innovations technologiques, le métier de superviseur/superviseuse continue d’évoluer et d’engendrer de nouvelles manières de travailler. Il a notamment permis à la prévisualisation, une sorte de storyboard en 3D pour se projeter dans une scène complexe, de se développer. La « préviz » permet au réalisateur/ à la réalisatrice avec l’aide de son/sa superviseur/superviseuse, d’essayer des compositions, des angles de vue.
« C’est une simulation qui permet de préparer le tournage. C’est un document autant artistique que technique. »
Yann Blondel
Ce travail de prévisualisation a été tant développé chez les Anglo-saxons qu’il permet maintenant de pitcher autrement, avec ce que l’on appelle la « pitchvis ». Elle peut rassurer les productions qui vont se projeter à l’aide de ce support.
« Ils vont pitcher leur histoire avec une prévisualisation. Ça leur permet de valider les financements. A partir d’un scénario, ils vont prendre une séquence emblématique, faire un faux trailer et vont aller pitcher leur film avec. »
Yann Blondel
La virtual production
Les nouveaux outils continuent d’être développés et vont possiblement modifier la charge de travail des superviseurs des effets spéciaux, comme l’illustre la “virtual production”.[1]
Alors que les effets visuels sont aujourd’hui réalisés sur les plans qui restent au montage, la virtual production demande de créer les effets pour tous les plans du scénario car ils doivent être prêts pour le tournage.
« Il faut envisager que tout le travail de post-production fait sur les effets visuels, qui pouvait prendre plusieurs mois, doit être fait avant […] ll faut préparer toutes les scènes, même si tout ne sera pas forcément gardé au montage. Ca fait des temps de préparation et de production qui sont monstrueux. »
Olivier Emery
[1] La virtual production s’appuie sur la projection d’effets visuels à l’aide d’un mur de LED.
Faire les bons choix
Bien que le métier de superviseur/superviseuse VFX se développe, le coût des effets spéciaux reste conséquent et implique d’optimiser leur utilisation. Les superviseurs interviennent alors à tous les stades de la production, du financement au montage en passant par le tournage, pour trouver des solutions et éviter les dépenses superflues.
« Il y a des moments où il faut trouver des solutions. Le monteur n’arrive pas à les trouver parce qu’il y a une incompréhension de ce qu’on peut faire en VFX. Ça m’est arrivé de prendre des séquences et de proposer un montage plus réduit, faire deux plans simples plutôt qu’un compliqué, etc. »
Cédric Fayolle
Parmi les solutions budgétaires : les effets directs, ancêtres du trucage numérique, qui peuvent apporter une dimension plus authentique que les VFX.
« Je travaille pour le film avant de travailler pour faire des effets visuels. »
Roxane Fechner
Metteurs en scène ?
Avec la multiplication des personnages ajoutés virtuellement, les superviseurs des effets visuels deviennent de véritables metteurs en scène. Lorsque des séquences entières sont réalisées en post-production, ils/elles en sont les créateurs et réalisateurs.
« Ça peut être une ligne dans un scénario et huit minutes à l’image. »
Cédric Fayolle
« Il y a de plus en plus de projets où il y a des parties de scénario entièrement faites en 3D (…) Là, tous ceux en prévisualisation vont définir l’action, le découpage, la façon de filmer. On intervient finalement dans la manière de raconter l’histoire. »
Olivier Emery
« D’une simple phrase comme : ‘’Un train roule dans la nuit noire et la guerre éclate’’ on fait une scène qui dure 10 minutes. Tout est inventé. Le travail est fait avec le réalisateur mais proposé par les VFX avant d’être validé par le monteur et le réalisateur. »
Guillaume le Gouez
Une place grandissante
Puisque les effets visuels prennent une place majeure à l’image, le superviseur/ la superviseuse est de plus en plus sollicité(e) dans la narration. Les personnages réalisés en images de synthèse sont sous sa responsabilité et il/elle doit guider les comédiens dans leurs intentions de jeu quand ils doivent tourner « dans le vide. »
« Si on a une créature, un acteur virtuel dans le scénario, notre rapport va être monstrueux. On a un personnage, un acteur du projet qui serait pris en charge par les effets. »
Yann Blondel« Quand ça commence à toucher un comédien, une comédienne, notre travail doit être en accord avec leur jeu (…) Expliquer l’impact de notre travail sur leur jeu, leur façon de se déplacer, c’est toujours délicat. »
Guillaume Le Gouez
Ceci demande de comprendre clairement l’histoire, les personnages et les intentions du/de la réalisateur/réalisatrice et du/de la scénariste.
« Si on ne comprend pas l’histoire, on ne fait pas forcément le bon effet. (…) Si on n’est plus en phase avec l’histoire, on ne comprend pas où veut aller le réalisateur. »
Cédric Fayolle
Des catalyseurs de créativité
L’accroissement des possibilités offertes par les effets visuels est une opportunité créative pour les scénaristes et réalisateurs. Ils/elles peuvent s’autoriser des choix toujours plus audacieux et imaginatifs.
« Le fait d’être avec eux, pouvoir en amont parler de leur projet et leur dire que c’est possible qu’ils se lâchent un peu, participe au fait qu’il y a de plus en plus d’effets visuels (…) On a souffert pendant pas mal d’années du manque de moyens, là on en sort. On a des producteurs ou des réals qui portent un peu plus d’ambition visuelle qu’avant et qui sont prêts à nous faire confiance. »
Olivier Emery
« Ils ont de plus en plus confiance en notre travail, en ce qu’on peut apporter. Ils se permettent d’écrire des choses qu’ils n’auraient peut-être pas faites il y a quelques années. »
Guillaume le Gouez
Messages aux scénaristes
« On vous aime ! »
Roxane Fechner
« Appelez-nous ! On est prêts à discuter avec-vous de vos projets, en consultation (…) On a besoin de scénaristes pour nous écrire de superbes histoires, produites par des producteurs qui mettent plus d’ambition visuelle dans leurs projets et qui trouvent les sous pour qu’on fasse de très belles choses. »
Olivier Emery
« N’ayez pas peur, écrivez pour nous (rires). »
Guillaume le Gouez
« Il y a aujourd’hui une forte demande de contenus, donc des idées originales à trouver. On vous fait confiance et on vous attend avec impatience. Mettez-nous au défi surtout ! »
Cédric Fayolle
Recos VFX
Dune, par Denis Villeneuve.
« Dune m’a scotchée. Je me suis laissée complètement embarquer. On ne sait même pas qu’il y a des effets spéciaux. »
(Roxane Fechner)
Les films des soeurs Wachowski
« À l’époque, elles m’ont complètement bluffé. Elles avaient cette envie d’intégrer les VFX dans une narration (…) « Speedracer » n’était pas un grand film d’après la presse mais une œuvre majeure dans la relation entre la narration et l’écriture virtuelle. »
(Guillaume le Gouez)
« I know this much is true », par Derek Cianfrance.
« Je ne sais même pas comment ils ont fait. »
(Yann Blondel)



