Les Compositeurs et le Scénario


« On a une part de responsabilité dans la direction artistique d’un film. Selon nos choix, on peut donner une connotation artistique forte. »

Robin Coudert.

Chaque semaine, un corps de métier différent de l’audiovisuel témoigne de son rapport au scénario.

Aujourd’hui, la parole est aux compositeurs et compositrices

Baptiste Rambaud accueille Audrey Ismaël (Germinal, Gueule d’Ange), Selma Mutal (Jour de Chance, The Vanished Elephant)Robin Coudert, dit ROB (Le Bureau des Légendes, Maniac)Erwann Kermorvant (36 Quai des Orfèvres, Luther) et Pascal Lafa (Les Hommes de L’ombre, Sueurs). 

Ennio Morricone, Hildur Guðnadóttir, Hans Zimmer, John Williams, Béatrice Thiriet. Associer ces noms au titre de musicien va de soi. Pourtant, composer pour le cinéma n’est pas simplement faire de la musique. Il est question de transformer des phrases du scénario en mélodies, raconter ce qui ne se voit pas, renforcer une intention, souligner une rupture ou créer un rythme. Leur contribution au récit et leur rapport au scénario sont bien plus riches qu’il n’y paraît.

Comment instaurer un vocabulaire commun avec le réalisateur ou la réalisatrice ? Comment composent-ils grâce au scénario et comment arrivent-ils à imposer leur personnalité tout en respectant le texte et les choix du réalisateur ?
Le ton est donné !


Suivre le tempo

La rencontre avec le scénario est une étape inévitable. C’est la porte d’entrée vers le film/l’épisode et une rencontre sensible pour le compositeur. Il/Elle s’autorise à rêver pour ressentir l’œuvre, son rythme et comprendre ce qu’elle veut transmettre.

« Je ne me considère pas comme un musicien quand je lis le scénario mais comme un partenaire global de cette œuvre (…) J’essaye de voir la sensibilité, de quoi ça parle, ce que ça m’évoque, si je ressens quelque chose ».
ROB

« Je pense assez peu en termes de musique. Je me laisse porter. Je veux juste être spectateur et ressentir le sentiment de l’histoire en elle-même. »
Erwann Kermorvant

« Je rentre dans le tempo de l’histoire. »
Selma Mutal

Cependant, le scénario peut tout autant être une ligne de départ vers laquelle on ne se tourne plus

« il y a un moment où il faut quitter complètement le scénario. Sinon on reste cloisonnés dans quelque chose qui nous empêche de créer vraiment. »
Pascal Lafa

…qu’un support vital à la musique du fait des intentions, du rythme et des émotions qu’il souhaite transmettre. 

« Dans le Bureau des Légendes, le scénario constituait une véritable bible et il était impossible de s’en éloigner. Le scénario est si précis que si tu en sors, tu loupes tout. »
ROB

Le scénario est une inspiration pour le compositeur, qui traduit cette base en une palette de mélodies. Puis quand ils/elles ont des idées d’ambiances, d’émotions, d’instruments, il faut convaincre le réalisateur, la réalisatrice.

« La musique du film, c’est la volonté du réalisateur. On est au service de cette volonté : il y a un rapport de communication entre compositeur et réalisateur ». 
Selma Mutal

Travailler de concert avec le réalisateur

La collaboration est une des clés de la bonne réalisation d’un projet. Pour pouvoir travailler avec le réalisateur, les compositeurs traduisent leur savoir musical et technique à l’aide de références communes. L’objectif est de donner naissance à une identité sonore qui soutient le propos artistique du film ou de la série et lui donne une nouvelle dimension. Le réalisateur a besoin de cohérence et doit donc être convaincu par la direction artistique de la future bande originale.

« Le plus dur c’est d’arriver à instaurer un vocabulaire commun entre nous. On n’attend pas d’un réal ou d’un scénariste qu’il nous dise de mettre un do mineur 7. (…) On évoque des scènes ou des ambiances de films précises, en parlant de sensations et d’objectif. »
Selma Mutal

« Je compose ce qui me passe par la tête puis utilise cette matière pour proposer au réalisateur des couleurs différentes. On ne communique pas avec des mots mais avec de la musique ».
ROB

Pourquoi mettre de la musique ?

La musique de film ou de série ne répond pas toujours aux mêmes besoins. Elle peut instaurer un rythme, une ambiance, raconter ce qu’on ne voit pas à l’image ou au contraire, exacerber des points de rupture.

« On vient montrer la partie invisible. Les scénarios qui me plaisent sont ceux qui arrivent avec des actions qui parlent plus que des mots ».
Audrey Ismaël

« On essaye d’amener quelque chose de plus profond, ce qu’on ne voit pas. C’est un combat parce qu’il faut pouvoir vendre ça aux réalisateurs, aux productions. ».
Pascal Lafa

« S’il fallait théoriser, j’ai l’impression qu’il y a :
• La musique qui décrit ce que l’on voit. 
• La musique qui explicite ce qu’on ne voit pas, l’intériorité des personnages.
• La direction artistique : hommage à un genre ou des ambiances. Les instruments sont beaucoup au service de cet objectif. »
ROB

Rapport au dialogue

Un film ou une série uniquement composée de dialogues longs et descriptifs, ça ne fait pas rêver grand monde. Un trop plein de musique non plus. A la différence de la littérature, l’audiovisuel est un art sonore… et visuel. La musique, tout comme le montage, vient raconter et exprimer des émotions avec d’autres outils que la parole. Ici les monteurs et compositeurs se rejoignent : l’objectif est de trouver l’équilibre entre silences, dialogues et musique.

« Je fais venir les réalisateurs et on regarde les épisodes sans rien, juste le dialogue. (…) Il y a plein de moments où ils seraient tentés de mettre de la musique et se rendent compte qu’en réalité ça marche sans (…) Il faut se demander quelle est la bascule dans la scène, ce qui fait que la scène change et qu’on a envie d’entendre quelque chose accompagner ça ».
Erwann Kermorvant

« Le réalisateur qui voit la vertu du silence est quelqu’un qui considère la musique ». 
Selma Mutal

Message aux scénaristes

« C’est important de comprendre ce que peut faire la musique dans un scénario, ne pas l’utiliser que comme un outil de production. »
ROB

« Merci d’être l’impulsion, le départ qui nous donne à tous des histoires à mettre en musique ». 
Pascal Lafa

Leurs bandes originales de référence

Chernobyl, par Hildur Guðnadóttir.
« Elle a réussi à reproduire la musique d’une centrale nucléaire ».
(Selma Mutal)

Toutes les productions de Johnny Greenwood. « Moderne, innovant, empreinte folle sur le récit et le tempo du film ». Lié à sa collaboration avec Pete Anderson, un vrai tandem réal/compositeur où on sent qu’ensemble ils doivent penser la musique très tôt.
(ROB)

la B.O de Moonlight par Nicholas Britell.
« Mise en valeur de l’intérieur et de l’invisible [des personnages]. »
(Audrey Ismaël)

La B.O de Peaky Blinders
« Second degré et extrêmement rock’n’roll, ce qui est original et saisissant pour une histoire pendant les années folles. »
(Pascal Lafa)

The Good fight, par David Buckley.
« Il utilise la musique de la renaissance avec des instruments d’époque dans un cabinet d’avocat. L’association des deux est un chef d’œuvre. La précision d’écriture de la musique colle avec le côté carré de tous ces avocats qui, sous un vernis parfait, sont en train de se donner les coups les plus horribles. »
(Erwann Kermorvant)


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