Les Assistants réalisateurs et le Scénario


« On traduit la réalité d’un texte écrit dans ce qu’il appelle comme besoin technique/pratique. C’est une question de moyens. »

Reno Epelboin.

Chaque semaine, un corps de métier différent de l’audiovisuel témoigne de son rapport au scénario.

Aujourd’hui, la parole est aux assistants réalisateurs

Baptiste Rambaud accueille Reno Epelboin (Vingt Dieux, The New Look), Tatum Drouilhat (Tokyo Shaking, Fais pas ci fais pas ça), Matthieu de la Mortière (Notre-Dame Brûle, Mon Inconnue), Claire Corbetta-Doll (Titane, Vortex) et Alan Corno (Le Discours, D’Argent et de Sang).

Coincé entre le marteau et l’enclume, l’assistant / assistante réalisateur endosse un rôle nécessaire mais délicat, car il/elle doit trouver des compromis. Il se porte garant de la faisabilité du scénario, estime le temps de tournage et veille à respecter les délais. Il a la responsabilité de trouver des solutions sans perturber la narration.

Nos invités nous racontent pourquoi ils/elles se retrouvent confrontés à un certain manque de considération et pourquoi ce métier demande une maîtrise absolue du scénario !

Nous sommes dans les temps, l’article peut débuter.


Dépouillement et plan de travail, les étapes clés

Pour comprendre leur métier, il faut dégager les deux grandes étapes de son exercice. Il y a tout d’abord le dépouillement, étape à laquelle ils identifient les éléments qui composent chaque scène pour déterminer leur faisabilité et organiser le tournage (décors, acteurs, costumes, figurants). 

« Il faut voir ce qu’il y a entre les lignes. On discute sur chaque séquence pour affiner le contenu de tout ce qui est présent. »
Reno Epelboin

C’est à l’occasion de ce dépouillement que peuvent apparaître d’éventuelles complications budgétaires ou des scènes chronophages, lorsqu’elles doivent être uniquement tournées de jour avant le lever du soleil par exemple.
En réaction, l’assistant réalisateur doit trouver des solutions. Cet effort d’adaptation peut parfois même entraîner des ajustements bénéfiques au scénario.

« Le scénariste n’a pas conscience de ça et finalement peut trouver un plus dans le fait de rapatrier une scène ailleurs, dans un autre décor ». 
Matthieu de la Mortière

« C’est la force d’un réalisateur-scénariste : savoir rebondir au mieux avec les contraintes et les utiliser comme support pour faire quelque chose d’inventif ou original ». 
Reno Epelboin

Puis est réalisé le plan de travail qui consiste en la traduction du scénario, support littéraire, en temps de tournage effectif.

« Le scénario reste un outil de communication avec les producteurs et les financiers. Il ne doit pas forcément être précis sur tout car cela peut devenir un outil impossible à lire ».
Matthieu de la Mortière

Un travail de longue haleine

L’assistant réalisateur est l’une des premières personnes à lire le scénario. Il est récurrent qu’ils/elles soient contactés avant même le financement du projet pour estimer le nombre de jours de tournage, dans l’optique de dégager un budget et convaincre les producteurs. Leur lecture du scénario est minutieuse et précise : c’est elle qui permet d’estimer le temps et les moyens que demandera chaque scène.

« C’est un rapport au texte complexe et complet. »
Claire Corbetta-Doll

« On fait des lectures successives de scénarios sous des angles bien différents. »
Reno Epelboin

Cependant, ces estimations sont parfois demandées trop tôt, notamment pour les séries télé. Ceci s’explique par des délais de production très courts.

« Les productions démarrent un peu trop tôt (…) On nous demande de faire des études avant que le scénario soit suffisamment calibré ». 
Matthieu de la Mortière

« Ce qui arrive quand on fait de la série ou de la télé, c’est qu’on nous demande de faire des plans de travail à partir de scénarios qui ne sont pas écrits. On a juste des séquences ou le résumé de l’épisode sur une page. Dans ce cas-là, tu estimes le temps qu’ils veulent ».
Alan Corno

Quel lien avec les scénaristes ?

L’assistant réalisateur est amené à réinventer le scénario pour répondre aux contraintes diverses. Une étroite collaboration avec le ou la scénariste s’impose.

« On ne va pas enlever 10 jours [de tournage] sans changer le scénario. Si on veut gagner du temps de tournage, il faut revenir au scénariste (…) Quand les réalisateurs sont les scénaristes, on est en contact direct et permanent. Ça nous permet un accès plus facile au scénario. »
Tatum Drouilhat

A l’inverse, la mise en relation avec le scénariste lorsqu’il n’est pas réalisateur s’avère moins aisée.

« Avoir un accès direct au scénariste passe par l’acceptation du réalisateur. »
Matthieu de la Mortière

Celles/ceux qui connaissent le mieux le scénario ?

Ce travail de fond sur le scénario leur permet d’acquérir une connaissance précise du texte qui dépasse parfois celle du scénariste. Ils sont alors dépositaires d’une certaine cohérence de l’œuvre et aident le plateau à ne pas perdre le fil.

« Pour les comédiens, ce sont des intentions de jeu qui sont difficiles à tenir car éclatées à travers les jours de tournage ».
Tatum Drouilhat

« On fait partie des seuls qui ont une vision aussi globale du texte ».
Reno Epelboin

« Un conseil que je donne tout le temps à l’équipe avec laquelle je travaille : le matin de chaque jour de tournage il faut relire la séquence, revenir au scénario. On croit tellement connaître la séquence qu’on peut s’en être un peu éloignés. »
Claire Corbetta-Doll

Une influence importante

L’assistant réalisateur joue un rôle indispensable au bon déroulement d’un projet. Cela lui confère un pouvoir d’influence et une autorité utile à la résolution de certains conflits ou problématiques. 

« Les producteurs nous demandent de faire des études pour avoir un argument pour que le scénariste coupe. »
Alan Corno

Néanmoins, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités et certains abusent de cette figure d’autorité en l’utilisant comme intermédiaire, un rôle parfois difficile à endosser :

« L’assistant réal se retrouve souvent en intermédiaire à devoir transmettre des messages que des personnes ne veulent pas se dire directement ».
Reno Epelboin

Références du point de vue d’un/d’une assistant réalisateur

« Les Portes du Paradis » de Michael Cimino.
« Participer au tournage a dû être très compliqué. Mais se dire qu’on participe à quelque chose qui va rester dans l’histoire du cinéma c’est assez chouette ».
(Reno Epelboin)

« Roma », d’Alfonso Cuarón.
« Malgré la taille de l’écran sur lequel je regardais le film, j’étais vraiment impressionnée ».
(Claire Corbetta-Doll)

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