La Flamme et Le Flambeau : renouveler la comédie à la française


Anatomie d’un succès est un concept de masterclass lancé en 2024 par la Cité européenne des scénaristes, pour donner la parole à celles et ceux qui “fabriquent” les succès du grand et du petit écran, en accordant une attention toute particulière au rôle-clé de l’écriture collaborative. Avec nos partenaires, nous souhaitons montrer que les œuvres cinématographiques et audiovisuelles se construisent à plusieurs mains.
 
Cette “dissection” des succès s’appuie sur le regard croisé de plusieurs professionnels intervenant aux différentes étapes de la fabrication du film ou de la série : scénaristes, producteurs et productrices, réalisateurs et réalisatrices, comédiens et comédiennes. La masterclass donne la parole à chacun, à chacune et permet de mettre aussi bien en lumière les réussites, que les défis de la création à plusieurs.  

Nous remercions chaleureusement Fabien Suarez, scénariste et vice-président de la Cité européenne des scénaristes, qui a imaginé ce format et assuré la modération des masterclass, ainsi que notre partenaire, Mediawan et plus particulièrement Anne-Claire Telle, directrice de l’Engagement du groupe, qui fut d’un soutien sans faille dans la création de cette masterclass. 

 


Nous vous proposons aujourd’hui de plonger dans les coulisses des deux “hits” La Flamme et Le Flambeau, qui représentent, en cumulé, 100 millions de visionnages. Produites par Makingprod et Les Films entre 2 et 4 (Mediawan) et diffusées par TF1, les deux séries réinventent la comédie à la française. Leur succès, s’il semble évident aujourd’hui, est le fruit d’un long travail de création qui a réuni quatre amis de longue date : Jonathan Cohen (créateur, scénariste, comédien, réalisateur et producteur), Stéphane Drouet (producteur), Benjamin Bellecour (producteur) et Jean-Toussaint Bernard (producteur et comédien).  

Ils nous ont fait l’honneur d’être présents pour cette première masterclass dans les locaux de Mediawan à Paris, devant un public conquis d’étudiants en audiovisuel venus audiovisuel venus de Kourtrajmé, de la Fémis, de l’Université Paris Nanterre et de l’association Moteur!.


La Flamme / Le Flambeau : importer la comédie US en France  

La Flamme, c’est le pari, risqué, d’adapter la série américaine Burning Love, elle-même parodie de l’émission de télé-réalité The Bachelor. Le synopsis est simple – un célibataire endurci, Marc, doit sélectionner l’élue de son cœur parmi 13 prétendantes – mais l’enjeu est de taille : adapter l’humour américain pour le public français et importer du même coup un nouveau genre de comédie dans le paysage audiovisuel, le tout dans une série de neuf épisodes. Un pari risqué ! 

Jonathan Cohen : “On ne pouvait pas imaginer le succès, c’est un facteur qui nous dépasse totalement. Au début, on se disait que cet humour anglo-saxon était trop niche. Le succès, qui a touché différentes tranches d’âge, a été une surprise !” 

Le plus gros atout de l’équipe créative et de l’équipe de production, qui étaient déjà liées depuis plusieurs années par de précédents projets : leurs références communes, issues de la comédie américaine des années 1990-2000 et leur attachement à la chaîne OCS, avec laquelle ils avaient travaillé par le passé (France Kbek, Lazy Company) ! 

Avec La Flamme, l’enjeu pour les trois scénaristes Jonathan Cohen, Jérémie Galan et Florent Bernard était de mêler le travail d’adaptation et le travail de création pure, à travers certaines scènes, voire certains épisodes entiers, comme celui de la Jean-Guile (épisode 4), qui n’existait pas dans la série originale. 

Jonathan Cohen : Le gros travail pour nous a été d’ajouter de l’enjeu sur les épreuves, pour les rendre plus emblématiques. Un exemple : dans la série américaine, il y avait une pool party. On l’a transformée en match de waterpolo entre les participantes, pour que le fait de gagner sa place auprès de Marc soit lié à une épreuve.”  

Autre défi majeur : l’écriture de comédie, à laquelle les trois sont certes rompus, mais qui nécessite une grande complicité et beaucoup d’organisation.  


Écrire pour faire rire  

Jonathan Cohen : La comédie s’écrit à plusieurs. Il y a toujours un showrunner1, pour des soucis d’efficacité et pour la nécessité d’échanger, de rire. On ne se bride pas au niveau de l’écriture, on se laisse de la marge. On dégraisse ensuite.” 

Pour la phase d’écriture, les scénaristes se sont particulièrement appuyés sur le format, inspiré de la télé-réalité, qui suppose une récurrence du motif de l’élimination comme moteur sériel et sur la caractérisation des personnages.  

Jonathan Cohen : Chaque personnage a une seule caractéristique, presque un seul mot qui le définit. Ça a beaucoup aidé dans l’écriture, même hors du registre comédie. » 

En plus de l’équipe créative, à laquelle s’est ajouté Jean-Toussaint Bernard sur Le Flambeau, la production était pilotée par Stéphane Drouet (Makingprod) et Benjamin Bellecour (Les Films entre 2 et 4), eux aussi amis de longue date des scénaristes. Tous se sont impliqués dès le début du projet, puisque toutes les étapes de création et de production se sont chevauchées en l’espace de quelques mois : la négociation des droits d’adaptation, la signature du contrat avec le diffuseur (Canal+) l’écriture à trois et le démarchage d’un casting de célébrités, parmi lesquelles Leïla Bekhti, Géraldine Nakache et Adèle Exarchopoulos. Cette superposition des étapes allait de pair avec le chevauchement des rôles, Jonathan Cohen assumant tout à la fois la casquette de scénariste, showrunner, comédien et producteur. Cette configuration, plutôt inédite, laissait beaucoup de place à la créativité des auteurs et a marqué l’ensemble du processus créatif de La Flamme et du Flambeau

Benjamin Bellecour : Jonathan m’a dit, en tant que producteur, que l’artistique passerait toujours avant l’économique. On s’est dit qu’on ne forcerait pas les auteurs à écrire et à créer dans un temps qui n’est pas réaliste. C’est fort, ce n’est pas anodin. Cette ligne de crête m’a appris à davantage respecter cet endroit de vulnérabilité des auteurs qui écrivent, qui réalisent et qui jouent.” 

Une fois le casting réuni, le tournage de La Flamme s’est déroulé en quelques semaines, en quasi huis clos. Dès sa première diffusion sur Canal + en octobre 2020, la série rencontre un immense succès, réunissant 12 millions de spectateurs. Mais pour nos invités, ce succès est loin d’être synonyme de repos : à peine six mois après la sortie de La Flamme, ils se retrouvent pour la deuxième saison… 


Le défi de la saison 2 

Stéphane Drouet : “Canal nous a bien accompagnés entre la saison 1 et la saison 2. Heureusement, parce que la saison 2 nous a fait partir loin, dans des conditions de production très différentes. On avait besoin d’un plus gros budget.” 

En effet : alors que le budget de La Flamme était de 6 millions d’euros, celui de la saison 2 s’élevait à 8 millions. En cause : des conditions de production beaucoup plus exigeantes, puisque quasiment toute la série a été tournée en extérieur.  

Au début, le trio Jonathan Cohen, Florent Bernard et Jérémie Galan pensaient tout simplement adapter la saison 2 de The Bachelor, dans laquelle Marc est remplacé par une femme. Mais l’inspiration ne vient pas.  

Stéphane Drouet : “Tu n’as même pas encore fini de profiter de ton succès, que tu dois déjà repartir. Une très bonne expérience c’est de voir que si ça n’est pas sincère, que les auteurs bloquent, c’est que le concept n’est pas le bon. Il faut que ce soit évident.” 

Trois autres auteurs les rejoignent alors dans l’aventure : Freddy Gladieux, Hugo Benamozig et David Caviglioli. Leur arrivée fait basculer la saison 2 : exit l’adaptation, les scénaristes se lancent dans une création originale ! 

Jean-Toussaint Bernard : “La vérité, c’est qu’on a écrit Le Flambeau en trois mois. Quand on est dos au mur, soit on s’écroule, soit ça fuse : c’est l’instinct de survie qui se met en marche. Notre exigence est restée la même, mais dans un temps beaucoup plus resserré.” 

Avec le soutien du diffuseur et de leur producteur, les scénaristes développent donc un concept inédit, qui parodie l’émission de télé-réalité Koh-Lanta. Côté casting, plusieurs comédiens présents dans la saison 1 sont recontactés – on retrouve ainsi Leïla Bekhti, Adèle Exarchopoulos, Ana Girardot et Géraldine Nakache.  

L’équipe embarque alors pour 44 jours de tournage en plein air, en Corse, qui restitue l’atmosphère compétitive de l’émission culte Koh-Lanta. L’enjeu est de taille, puisque les conditions de tournage sont à l’opposé de ce qui avait été fait pour La Flamme et sont très exigeantes physiquement – beaucoup de scènes tournées en mer par exemple -. Là encore, l’écriture des scènes joue un rôle fondamental et contrebalance les difficultés du terrain et de la météo :  

Stéphane Drouet : ”Il faut que le scénario soit écrit au cordeau pour que les acteurs puissent improviser. C’est étrange mais l’improvisation, ça ne prend que si la base écrite est solide.” 

Le fait de devoir mêler comédie et scènes d’épreuves sportives suppose forcément une direction d’acteurs précise, rôle en bonne partie assumé par Jonathan Cohen lui-même. Pour Le Flambeau, il explique s’être principalement appuyé sur la méthode dite du Line-O-Rama, développée par le réalisateur américain Judd Apatow, qui laisse la caméra tourner en permanence pendant les scènes :  

Jonathan CohenJudd Apatow ne coupe jamais, il parle pendant les prises. En tant que comédien, ça t’oblige à être sur le qui-vive et à réagir. C’est nécessaire de s’accorder ce temps-là, parce qu’il y a des situations absurdes et folles à tourner. Aller jusqu’à l’absurde ça demande beaucoup, beaucoup de prises.” 

La phase de montage, la dernière réécriture :  

Une fois le tournage achevé, reste l’étape de la post-production, qui inclut une phase de montage conséquente. Sur Le Flambeau en particulier, Jonathan Cohen s’entoure d’une équipe de monteurs venus de YouTube, habitués aux contenus comiques efficaces. 

Jonathan Cohen : “ J’ai fait le pari de confier de la fiction à des monteurs de YouTube parce qu’ils avaient un sens du rythme dont j’avais besoin. J’ai gagné du temps, parce qu’eux et moi, on parlait le même langage.” 

La phase de montage est une étape cruciale sur tous les projets et est considérée par beaucoup comme la dernière réécriture. En comédie, le montage revêt une importance toute particulière puisque c’est le moment où l’’efficacité de l’humour est mise à l’épreuve  

Jonathan Cohen : “C’est au montage que se fait la comédie. Les timings doivent être précis pour que ça tombe juste” 

Et le travail acharné des équipes paye puisque Le Flambeau rencontre également un franc succès lors de sa diffusion en mai 2022 : plus de 700 000 personnes suivent la diffusion en clair du premier épisode.  


Les inspirations de nos invités :  

Jonathan Cohen : “Edgar Wright, le réalisateur de Scott Pilgrim.” 

Stéphane Drouet : “Le producteur Jason Bloom qui arrive à faire énormément avec de petits budgets.” 

Jean-Toussaint Bernard : “Les studios Pixar. Ce sont les grands conteurs d’aujourd’hui.”  

Benjamin Bellecour : “Le studio A24. Ils laissent faire les artistes et les réalisateurs, ce sont des producteurs très présents mais très peu interventionnistes, qui laissent leur place à l’auteur.” 


Nous remercions chaleureusement nos invités, Jonathan Cohen, Stéphane Drouet, Benjamin Bellecour et Jean-Toussaint Bernard pour leur générosité et la richesse de cette discussion. 


Restez connectés, on vous dévoile les secrets du succès Askip très prochainement ! 

  1. ↩︎

Professionnel en charge du déroulement d’une série ou d’une quotidienne. Il/Elle effectue un travail de supervision, de suivi logistique et budgétaire et fait le lien avec la production.

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