Petite histoire de l’animation en Afrique subsaharienne


Avant-propos : Cet article n’a pas pour ambition de retracer l’histoire de l’animation en Afrique dans toute son exhaustivité, mais plutôt de présenter de manière concise les grands mouvements de son histoire. Ces mouvements sont accompagnés de quelques exemples illustratifs, qui, de la même manière, ne prétendent aucunement à l’exhaustivité.

Après avoir été mis à l’honneur lors du festival international du film d’animation d’Annecy de 2021, les talents de l’animation africaine ont désormais franchi une nouvelle étape symbolique en cette année 2023, et pas des moindres : Disney et Netflix ont tous les deux sorti leurs toutes premières séries animées africaines durant l’été, respectivement Kizazi Moto: Generation Fire et Supa Team 4.

Derrière ces succès se cache une industrie encore jeune mais en pleine croissance, avec des talents prêts à réinventer les manières de collaborer pour porter haut les couleurs de l’animation panafricaine.

Petit aperçu en trois chapitres de l’histoire de l’animation sur le continent africain.

Chapitre 1 : L’animation entre colonialisme et émancipation

Nous sommes en 1953 dans le Congo belge, et le Centre congolais de cinéma d’action catholique finance des missionnaires, les pères Alexandre Van den Heuvel et Roger Jamar, pour produire des films pour le public local. C’est dans ce contexte qu’est produite la première série animée sur le continent africain, Les Palabres de Mboloko.

Alors que des historiens du cinéma, comme le Belge Victor Bachy, désignent ces missionnaires belges comme les “premiers cinéastes africains”, l’écrivain malien Manthia Diawara nuance ce propos dans African Cinema: Politics & Culture (1992) ; pour lui, il s’agit plutôt des premiers films créés en Afrique pour un public occidental.

En effet, même si ces films mettent en valeur pour la première fois des histoires du folklore africain (en l’occurrence des contes populaires sur l’antilope Mboloko qui combat des adversaires comme des crocodiles ou léopards), il n’en reste pas moins qu’ils sont bien ancrés dans le discours colonial.

Selon Manthia Diawara, ils sont avant tout produits parce que le père Van den Heuvel considère les Africains comme des « enfants qui n’étaient pas assez mûrs pour des longs métrages ordinaires » :

“[Ces films étaient] paternalistes, présentant le public africain comme un public primitif, enfantin, prêt uniquement pour des fables ouvertement pédagogiques.”

Une dizaine d’années plus tard, lorsque le général congolais Mobutu Sese Seko prend le pouvoir en 1965, il censure Les Palabres de Mboloko pour leur représentation humiliante du léopard, son emblème, dépeint dans la série animée comme un animal stupide plutôt que noble et puissant.

C’est d’ailleurs en cette même année 1965 qu’est produit le premier film court d’animation africaine par un talent africain : La Mort de Gandji du cinéaste nigérien Moustapha Alassane.

Il s’agit d’une satire politique de quatre minutes dont l’action se déroule dans un petit village de la brousse, où un roi crapaud doit naviguer parmi les manigances de la cour. On peut y voir un parallèle avec le contexte politique du pays, où en avril 1965, le premier président élu nigérien, Hamani Diori, échappe à une tentative d’assassinat.

Ce court-métrage est disponible ici.

La Mort de Gandji de Moustapha Alassane (1965)

Premier réalisateur du cinéma nigérien et du cinéma d’animation africaine, surnommé le “Mélies africain” par le journaliste Serge Moati1, Moustapha Alassane mettra en scène tout au long de sa carrière en stop motion, puis par ordinateur ainsi qu’en dessins, des crapauds comme allégorie des nouveaux États africains.

Durant les trente années suivantes, les tentatives de récits d’animation seront très sporadiques, et elles se heurteront aux remous politiques des vagues de décolonisation, ainsi qu’aux manques de ressources technologiques et financières des sociétés de production.

On peut cependant noter que l’animation ghanéenne s’est développée dès la fin des années 1970 sous l’impulsion de la Ghana Broadcasting Corporation (GBC) à travers la création de la National Film and Television Institute (NAFTI) en 1978, seule école d’animation d’Afrique de l’Ouest de l’époque.

Dans les années suivantes, l’entrepreneur ghanéen George Twumasi essaiera de se rapprocher de Disney et d’ouvrir des ponts entre les deux continents.

Chapitre 2 : Le tournant des années 2000 et 2010

La première série animée africaine voit le jour en 2003 grâce au franco-camerounais Pierre Awoulbe Sauvalle et son studio d’animation sénégalais Pictoon, installé à Dakar, fondé avec la franco-sénégalaise Aïda N’Diaye.

Entièrement réalisée en Afrique, cette série de 13 épisodes raconte l’histoire de Kabongo Le Griot, un conteur ouest-africain.

Le patrimoine traditionnel de l’Afrique étant riche en récits de tradition orale, la sérialité de Kabongo est toute trouvée : le conteur parcourt les pays du monde accompagné de son fidèle singe chanteur, Golo, à la recherche d’un élève à qui transmettre son art et son savoir-faire.

À travers ses aventures et à travers ses récits, il révèle toute la magie des mythes et légendes locales, ce qui est primordial pour Pierre Awoulbe Sauvalle :

“Si nous ne savons pas vendre notre culture, d’autres le feront pour nous.”2

Malgré un succès public auprès de plusieurs télévisions africaines, la série peine à trouver des distributeurs en Europe et en France.

Les avancées technologiques des années 2000 favorisent le développement de studios de production et l’animation africaine voyage à l’international pour la première fois.

Certains acteurs locaux se démarquent, comme l’Afrique du Sud avec son studio Triggerfish Animation, fondé en 1996.

Triggerfish Animation connaît ses premiers exports à l’international au cours des années 2010 avec ses deux films Adventures of Zambezia (Drôles d’Oiseaux, 2012) et Khumba (2013), qui sortent dans les salles de cinéma françaises et sont doublés aux Etats-Unis par des castings prestigieux.

Après une décennie à être un des seuls pays du continent à produire des publicités animées, le Ghana produit également son premier long-métrage d’animation en 2008.

L’autre gros pôle de création audiovisuelle du continent est le Nigeria, qui voit sa production de films DTV (”direct-to-video”, ces films qui sortent directement en vidéo sans passer par la case cinéma) exploser depuis les années 2000. Mais “Nollywood” reste plutôt frileux avec le secteur de l’animation, les technologies 2D/3D étant encore peu développées et l’animation estimée peu rentable.

Malgré cela, le premier film d’animation du pays sort en 2009, Mark of Uru, réalisé par Obinna Onwuekwe et produit par Segun Wiliams.

Neuf plus tard, un autre projet essaiera de voir le jour : Frogeck réalisé par Nurdin Momodu, produit par le studio Anthill.

Il raconte l’histoire de Frogeck, un extraterrestre qui débarque par accident dans un orphelinat d’Ibadan. Tout en essayant de rentrer chez lui, il aide les enfants à sauver l’orphelinat.

Mais un an après la diffusion de ce teaser, le PDG de Anthill, Niyi Akinmolayan, annonce que le projet est abandonné par manque de financement, aggravé en raison d’un réseau électrique très capricieux.

Deux ans plus tard sortira Lady Buckit and the Motley Mopsters (2020), écrit par Ayodele Arigbabu et Stanlee Ohikhuare.

Produit pour 655 000 €, l’histoire débute en 1956, avant l’indépendance du pays, dans une ville du delta du Niger, Oloibiri, avant que l’héroïne ne traverse le temps et se retrouve en 2019.

Le manque de moyens financiers pour l’animation pousse les talents et les studios de production à collaborer au-delà des frontières, créant ainsi des oeuvres nourries de toutes les influences du continent ainsi que des centres de formation transnationaux devant de réels hubs de talents.

On peut citer l’Africa Digital Media Academy créée en 2012 à Kigali au Rwanda, un centre de formation aux effets spéciaux et à l’animation à la pointe de la technologie.

Désormais, une nouvelle phase d’expansion de l’animation africaine est enclenchée grâce à cette synergie de talents et à l’arrivée des plateformes de streaming américaines décidées à investir dans ce marché florissant.

Chapitre 3 : L’animation africaine à l’assaut du monde

Relayée dans cet article du Point, une étude du cabinet américain Digital TV Research estime que “les services de vidéos à la demande avec abonnement vont générer en Afrique 1,06 milliards de dollars en 2025, contre 183 millions en 2019. Le nombre d’abonnés, lui, devrait passer sur la même période de 2,68 millions à 9,72 millions.”

Stimulés par cette croissance prévisionnelle, Netflix et Disney, respectivement première et deuxième plateformes du secteur sur le continent, ont toutes les deux sorti en 2023 leurs premières productions africaines.

Il y a d’abord eu Kizazi Moto: Generation Fire, une anthologie de courts-métrages afro-futuristes, diffusée sur Disney + et produite par le studio sud-africain de Triggerfish.

Six pays (Afrique du Sud, Egypte, Kenya, Nigeria, Ouganda, Zimbabwe) sont représentés dans cette anthologie. Les 10 réalisateur·ices africain·es présent y développent leur vision de l’avenir du continu africain grâce à la science-fiction et au fantastique.

Les thèmes abordés mélangent héritage culturel et problématiques actuelles :

  • L’importance de la figure maternelle et de la terre nourricière, à travers une terre pillée par l’exploitation minière avec Enkai de la Kenyane Ng’endo Mukii ;
  • L’exploration d’un univers utopique technologique où le Zimbabwe n’a jamais été colonisé avec Mukudzei du duo Pious Nyenyewa et Tafadzwa Hove ;
  • La montée des eaux dans Surf Sangoma du binôme sud-africain Catherine Green et Nthato Mokgata, où en 2050 la ville côtière de Durban est protégée par un immense mur qui empêche toute activité océanique, au grand dam de deux passionnés de surf.

Abdulrahman Khedr, PDG du studio égyptien Giraffics, qui a participé à Kizazi Moto: Generation Fire , se confie à Statement Africa :

“Je crois vraiment que la coopération, la collaboration et les partenariats entre différents studios nous permettront d’aller plus loin, car les coûts sont extrêmement élevés. La plupart de ces studios ne sont pas assez grands pour prendre en charge un projet entier à eux seuls.”

Comme l’illustre d’ailleurs très bien son court-métrage pour cette anthologie, First Totem Problems, produit par son studio égyptien, écrit et réalisé par une Sud-Africaine, Tshepo Moche, et centré sur un conte du folkore sud-africain.

Ensuite il y a eu la première série d’animation Netflix écrite et produite en Afrique, Supa Team 4. Sortie ce 20 juillet 2023, cette série créée par la Zambienne Malenga Mulendema et animée par le Camerounais Malcolm Wope a été acclamée par la critique pour son portrait plein de fougue de quatre adolescentes qui utilisent leurs supers-pouvoirs pour sauver le monde dans une version futuristique de Lusaka, la capitale de la Zambie.

Autre fait remarquable, l’équipe d’écriture est uniquement composée de femmes scénaristes, huit au total : Vanessa Kanu, Maame Boateng, Omotunde Akiode, Khadidiatou Diouf, Ng’endo Mukii, Voline Ogutu, Gloria Zewelanji Raen et Tshepo Moche (qui a également créé un court-métrage pour Kizazi Moto), toutes de nationalités différentes.

La scénariste nigériane Omotunde Akiode se confiait à TechPoint Africa en 2019 sur l’espoir de participer à nouveau à des ateliers structurés de la sorte, bien loin de ce qu’elle a vécu sur les autres productions locales. Selon elle, les animateurs locaux se concentrent trop sur les graphismes et négligent l’histoire :

« À Nollywood, les producteurs de films ne valorisent pas le scénario. Ils dépensent beaucoup d’argent en caméras et en acteurs et offrent des cacahuètes aux écrivains. C’est pourquoi nous avons de nombreux films à Nollywood avec de superbes images mais des scénarios pas terribles.”

Enfin, le dernier « gros » projet est la toute première série originale d’animation Disney d’origine panafricaine : Iwaju (2024), “le futur” en yoruba, produite par Disney en collaboration avec le studio ougandais et nigérian d’animation Kugali.

C’est une série afro-futuriste décrite comme une lettre d’amour à la ville de Lagos au Nigéria, deuxième plus grande ville d’Afrique, explorant les thèmes de classe sociale, d’innocence et de remise en cause du statu quo.

Lors du Festival International du Film d’Animation d’Annecy 2021 où l’animation africaine était à l’honneur, Jennifer Lee, la directrice de la création des Walt Disney Animation Studios (et également co-scénariste de La Reine des Neiges), disait :

« Là-bas, il y a tellement de réalisateurs et artistes de talents et nous pouvons les aider à faire entendre leur voix »

Durant cette année 2021, quatre pays Africains sont représentés en sélection à Annecy, dont le Ghana avec Room 5, produit par AnimaxFYB Studio, et réalisé par Francis Yushau Brown.

AnimaxFYB Studio avait par ailleurs réussi l’année précédente à vendre à Amazon Prime la première série d’animation ghanéenne, Mmofra.

Francis Y. Brown raconte ce processus dans cette vidéo.

L’animation africaine fait face à de nombreux défis, notamment celui du financement, mais l’avenir n’a jamais semblé aussi positif. Le Ghana a eu quatre sélections officielles à Annecy entre 2017 et 2024. Netflix et l’Unesco ont même lancé depuis 2021 un concours intitulé « African Folktales, Reimagined » (« Contes populaires africains, réimaginés ») destiné à découvrir certains des talents les plus prometteurs d’Afrique subsaharienne.

Ces nouvelles opportunités sont à la hauteur des envies narratives de tous ces talents, qui comptent bien utiliser ces tremplins mondiaux pour mettre en lumière leurs cultures et leurs regards.


Avatar de Pauline Mauroux

Scénariste et autrice, Pauline Mauroux est responsable éditoriale de la Revue de la Cité. Elle est également la créatrice de « tchik tchak, la newsletter sur l’écriture ».


  1. http://www.africine.org/critique/moustapha-alassane-cineaste-du-possible-de-silvia-bazzoli-et-christian-lelong/8469 ↩︎
  2. https://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2005/05/article_0004.html ↩︎

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