Les Décorateurs et le Scénario


« Il y a rarement de vraies descriptions des décors, peu d’indications sur les personnages (…) L’environnement, c’est quelque chose qu’il y a à créer. »

Michel Barthélémy

Chaque semaine, un corps de métier différent de l’audiovisuel témoigne de son rapport au scénario.

Aujourd’hui, la parole est aux décorateurs, décoratrices et accessoiristes

Michel Barthélémy, chef décorateur (La Nuit du 12, Boîte Noire), Fanny Stauffpremière assistante décoratrice (Le Bureau des Légendes, Colombiana)Philippe van Herwijnen, chef décorateur (Hippocrate, Légitime Défense)Léa Philippon, cheffe décoratrice (Shéhérazade, Gloria) et Simon Tric, accessoiriste (Mandibules, Jack Ryan) nous partagent leur expérience.

Avec le réalisateur ou la réalisatrice, le chef décorateur ou la chef décoratrice détermine la tonalité et l’identité visuelle de l’œuvre. Ils dissèquent le scénario pour en extraire l’atmosphère des scènes et apporter de la cohérence. Ils dessinent les décors qui doivent être faits en studio et organisent l’aménagement des décors dits « naturels », ceux que l’on façonne à partir de lieux réels.
Les décors permettent aux personnages d’évoluer dans un environnement crédible porteur d’un contexte social, culturel, politique ou temporel. La réalisation de ceux-ci demande une sensibilité artistique mais également de collaborer avec les différents artisans du projet, des costumiers et accessoiristes aux peintres et superviseurs des effets spéciaux.

L’accessoiriste, lui, raconte la petite histoire des personnages au travers de leurs possessions et surveille les possibles faux raccords au tournage.
Maintenant que le décor est posé, entrons dans le vif du sujet.


Apporter sa vision

Les décorateurs et les décoratrices sont parmi les acteurs principaux de la préproduction d’un film. Ils travaillent de pair avec le réalisateur/la réalisatrice sur la direction artistique visuelle de l’œuvre. Cette place de choix leur offre la possibilité d’exprimer leur créativité et de mettre leur vision au service de l’image.

« On ne va pas réécrire le scénario mais on peut proposer des choses dans les objets, dans les décors… quand on est bien en amont sur un film, ça peut aider le réalisateur à avoir une vision autre. »
Léa Philippon

« Il y a un travail à plusieurs mains, à plusieurs cerveaux entre chef opérateur, directeur de production, réalisateur et décorateur ».
Michel Barthélémy

Déterminer l’arène

Lire et s’approprier un scénario demande une compréhension structurelle et émotionnelle de l’univers du récit. Ressentir l’atmosphère de l’histoire leur permet de mettre en forme l’arène où les personnages évoluent. « L’arène », comme définie par John Truby dans l’Anatomie du scénario, est « l’espace physique, historique, social et géographique du récit ».

« C’est de la lecture qu’on va déterminer l’arène ». 
Michel Barthélémy

En règle générale, le/la scénariste ne donne que très peu d’indications sur les décors. Le décorateur ou la décoratrice dispose d’une certaine liberté. Néanmoins, ses propositions sont soumises à la validation de l’équipe de réalisation. Les décors vont influencer la narration visuelle, voire le storyboard dans la gestion de l’espace.

« Quand je lis un scénario, parfois les personnages ne sont pas du tout creusés et c’est compliqué d’imaginer un décor chez eux (…) Je reviens aux premières images que j’avais à la première lecture du scénario. »
Léa Philippon

« Il y a rarement de vraies descriptions des décors, peu d’indications sur les personnages (…) L’environnement, c’est quelque chose qu’il y a à créer. »
Michel Barthélémy

« Il y a beaucoup de mobilier Ikea dans les scénarios (rires). Les descriptions de décor sont souvent les mêmes, c’est assez cliché. »
Philippe Van Herwijnen

La conclusion est la même pour les accessoiristes, qui ont à interpréter le scénario pour proposer des éléments matériels qui colleront au mieux avec l’univers et les personnages.

« On essaye de proposer des choses qui nous paraissent aller dans le sens de l’ambiance, du scénario, du personnage ».
Simon Tric

L’accessoiriste, artisan des détails

On fait appel à l’accessoiriste pour garantir la crédibilité des comédiens dans les décors, éviter les faux raccords et créer des accessoires qui donneront leur profondeur aux personnagesIl/elle entre en scène quelques semaines voire quelques jours avant le début du tournage. Il/elle achète, crée, met en place et entretient tous les objets qui passeront entre les mains des acteurs.

« J’interviens juste au moment du tournage, on a très peu de préparation. »
Simon Tric

Ces accessoires donnent de la profondeur aux personnages, racontent leur histoire

« Il faut qu’on se mette à la place des personnages, qu’on se raconte une petite histoire et qu’on propose des choses qui vont la raconter. »
Simon Tric

Analyser la faisabilité du projet et trouver des solutions

Le chef décorateur / la cheffe décoratrice a connaissance du budget et, dans le cas où le tournage se fait en studio, des restrictions d’espace. Cela amène parfois une légère réécriture du scénario.

« Les chiffrages vont donner une indication, pointer du doigt les décors qui coûtent trop cher. Souvent ça inclut une réécriture. (…) Il faut que le projet corresponde à son financement. »
Michel Barthélémy

« [Dans le Bureau des Légendes] il s’est avéré qu’il y avait plein d’espaces utilisés une fois, ou alors on ne savait pas dans quelle pièce se passait telle action. Il y avait un panel énorme d’espaces qui ne pouvaient pas tenir dans le lieu physique qu’on avait (le studio). Il y a eu une réécriture du scénario pour préciser les lieux, condenser certains espaces en un seul ». 
Fanny Stauff

Le quotidien au tournage

Lors du tournage, le décorateur / la décoratrice et l’accessoiriste doivent gérer les imprévus et les contraintes. Leur quotidien est de jouer avec celles-ci et trouver des solutions qui peuvent amener des améliorations inattendues.

« On passe notre temps à résoudre des problèmes. »
Fanny Stauff

« C’est dans les contraintes qu’on est créatifs. »
Léa Philippon

« Il faut être très souple dans ce métier, rien n’est acquis. Souvent, ça tire les choses vers le haut ».
Michel Barthélémy

« C’est un peu le quotidien de l’accessoiriste de résoudre des problèmes. Quand un technicien fait tomber une potiche, il faut la recoller pour que le décor garde sa cohérence, que le raccord soit juste (…) C’est un peu le cœur du métier. »
Simon Tric

Message aux scénaristes

« Ajoutez des didascalies sur les personnages, les décors. Je trouve ça super parce que la lecture du scénario est plus digeste et ça aide beaucoup (…) C’est un outil de travail énorme pour les costumes, la mise en scène ».
Léa Philippon

« Si un scénariste travaille comme il aime travailler, tout le monde sera plus content que sur des scénarios où il a à répondre à des demandes qui ne sont pas tellement scénaristiques ».
Simon Tric

Leurs décors de référence

La Reine Margot, réalisé par Patrice Chéreau. Décoratrice : Marie-Hélène Sulmon.
« La déco ce n’est pas forcément ce qu’on voit, ce sont plutôt les costumes, mais c’est ce qui m’a donné envie de faire ce métier ».
(Léa Philippon)

Elephant Man, réalisé par David Lynch. Décoratrice : Annie Sullivan.
« Pour moi c’est absolument un chef d’œuvre de déco. Aujourd’hui on sortirait ce film, il n’aurait pas pris une ride. »
(Philippe van Herwijnen)

Les 7 Samouraï, réalisé par Akira Kurosawa. Décorateurs : Eiko Ishioka, Tadashi Imai et Akira Kurosawa lui-même.
« Il y a à la fois du graphisme, une utilisation de l’espace qui est incroyable et en même temps il est élégant et sobre. » 
(Michel Barthélémy)


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