La capacité du sport à fédérer est un thème récurrent utilisé par les scénaristes, leur permettant de raconter des histoires de guérison et de réconciliation à travers les frontières sociales, culturelles ou nationales. Ces récits démontrent comment le sport transcende les différences individuelles pour forger une solidarité, voire une amitié, et pour atteindre un objectif commun.
L’esprit d’équipe envers et contre tout
Les premiers scénarios où les valeurs d’entraide sportives sont mises en avant sont américains, et centrés sur le football américain – ce qui n’est pas un hasard.
Demetrius Pearsons et al. ont publié une étude1 dans laquelle, sur 65 ans (de 1930 à 1995), ils ont identifié 590 films américains qu’ils ont qualifiés de « films sportifs », faisant de l’industrie américaine la première sur ce genre.
Dans The American Dream Goes to College: The Cinematic Student Athletes of College Football, Andrew C. Miller montre qu’entre 1926 et 1941, Hollywood connaît notamment une vague de films sur le sport universitaire2, vague qui s’explique par différents facteurs :
- Le football américain devient le sport le plus populaire sur les campus ;
- Les valeurs de solidarité et d’entraide correspondent au contexte historique avec en arrière-plan les tensions mondiales ;
- Le football américain universitaire – un sport de classe supérieure WASP (White Anglo-Saxon Protestant) – se démocratise et s’ouvre à d’autres groupes socio-économiques, permettant à des récits d’ascension sociale d’étudiants moins aisés (et confrontés au fossé social qui les sépare de leurs équipes et de leurs camarades de classe) d’émerger.
Ainsi, parmi les premiers films à transmettre ces valeurs d’entraide, on peut par exemple citer :
- Knute Rockne All American (1940), écrit par Robert Buckner, raconte l’histoire de Knute Rockne, entraîneur de football américain légendaire à l’Université Notre Dame.
Le film devient instantanément un classique. Dans sa critique, le Harrison’s Reports écrit :
« C’est le premier film sur le football produit sans aucune « absurdités » ; il montre comment les équipes sont développées et ce que le jeu signifie pour les joueurs et les entraîneurs. »3
- Pride of the Yankees (1942), écrit par Jo Swerling et Herman J. Mankiewicz, qui est un hommage à Lou Gehrig, le célèbre joueur de baseball des Yankees de New York.
Au-delà de ses exploits sportifs, le film met en évidence la façon dont sa lutte contre la maladie a uni les fans de baseball et le public américain. Lou Gehring mourra un an avant la sortie du film, qui reçut 11 nominations aux Oscars.
Il faudra ensuite attendre la fin des années 80 pour que les sports représentés se diversifient.
On peut citer ces exemples :
- Le Grand Défi (1986, Etats-Unis), écrit par Angelo Pizzo, se déroule dans les années 50 et suit l’équipe de basketball du lycée de Hickory, une petite ville de l’Indiana, dans leur parcours inattendu vers le championnat de l’État, devenant un point de rassemblement pour toute la communauté.
- Le Plus Beau des Combats (2000, Etats-Unis), écrit par Gregory Allen Howard, se concentre sur une équipe de football américain d’un lycée en 1971, dans un contexte de profonde ségrégation raciale aux États-Unis, qui devient un exemple d’unité et de solidarité :
“Je me fiche que vous vous aimiez ou non, mais vous vous respecterez. Et peut-être… Je ne sais pas, peut-être que nous apprendrons à jouer ce jeu comme des hommes.”
Sous la direction de l’entraîneur Herman Boone (interprété par Denzel Washington), l’équipe transcende ses divisions internes raciales pour former un groupe cohésif, illustrant ainsi comment le sport arrive à unir des individus de différentes origines autour d’un objectif commun et à favoriser l’harmonie dans une communauté divisée.
Le réel, le sport et la politique
Le réel est également un excellent terreau pour ces histoires qui transcendent les barrières et laissent espérer réconciliation et guérison, même dans des contextes historiques ou politiques tendus :
- Das Wunder von Bern (Le Miracle de Berne, 2003, Allemagne), écrit par Sönke Wortmann et Rochus Hahn, raconte l’histoire vraie du triomphe inattendu de l’équipe d’Allemagne de l’Ouest lors de la Coupe du Monde de la FIFA de 1954 en Suisse. Ce succès est considéré comme un moment charnière dans l’histoire allemande d’après-guerre, contribuant à restaurer la fierté nationale et à favoriser un sentiment d’identité collective dans un pays encore marqué par les cicatrices de la Seconde Guerre mondiale.
- Miracle (2004, Etats-Unis), écrit par Eric Guggenheim et Mike Rich, raconte l’histoire vraie de l’équipe olympique de hockey sur glace des États-Unis de 1980, qui, contre toute attente, a remporté la médaille d’or aux Jeux Olympiques d’hiver. L’entraîneur Herb Brooks a rassemblé des joueurs issus de différents horizons et rivalités universitaires, forgeant une équipe unifiée capable de défier et de vaincre l’équipe soviétique, alors considérée comme la meilleure au monde, dans le contexte de la Guerre Froide.
- Invictus (2009, Afrique du Sud et Etats-Unis), écrit par Anthony Peckham, dépeint la façon dont Nelson Mandela a utilisé la Coupe du Monde de Rugby de 1995 comme moyen d’unifier le pays post-apartheid. Le rugby était en effet perçu comme un sport principalement blanc et avait été un symbole de la séparation. Mandela voit le potentiel du rugby pour servir de pont entre les communautés blanches et noires du pays.
- As One (2012, Corée du Sud), écrit par Kwon Seong-hwi et Yoo Young-ah, raconte l’histoire vraie de l’équipe féminine coréenne unifiée des deux Corées de tennis de table qui a concouru sous le même drapeau lors des Championnats du monde de 1991 au Japon. Le film met en lumière un moment historique où le sport a transcendé les clivages politiques et idéologiques.
Des enjeux qui dépassent le sport
Enfin, l’impact du sport sur la communauté dépasse parfois largement le sport en lui-même.
Le sport est ici un point de départ et non une finalité, un vaisseau pour permettre aux personnages d’atteindre leur réel moteur, que ce soit pour prouver quelque chose, pour trouver leur place dans la société, pour changer leur vie, ou pour défendre une cause.
Un des films emblématiques de cette approche est le film anglais Les Chariots de feu (1981), écrit par Colin Welland.
Ce film raconte l’histoire vraie de deux athlètes aux Jeux Olympiques de 1924, l’un un fervent chrétien courant pour la gloire de Dieu, et l’autre un juif courant pour surmonter les préjugés. Le film explore les enjeux de l’intégrité, de la foi, et de l’identité personnelle au-delà de la simple quête de médailles.
Ces films décalent le point de vue au niveau d’une communauté et des spectateurs, et montrent que, parfois, l’importance du sport réside moins dans la compétition ou la victoire elle-même que dans les connexions humaines qu’il permet de créer ou de restaurer, et les rêves et espoirs qu’il peut aider à réaliser.
Dans cette veine on peut citer :
- Field of Dreams (Phil Alden Robinson, 1989, Etats-Unis), écrit et réalisé par suit l’histoire de Ray Kinsella (interprété par Kevin Costner), un fermier de l’Iowa qui, guidé par une voix mystérieuse (« si tu le construis, il viendra« ), décide de construire un terrain de baseball dans son champ de maïs. Malgré les risques financiers et le scepticisme de son entourage, Ray est motivé par la promesse que ce projet fasse venir la légende du base-ball Shoeless Joe Jackson, avant de réaliser qu’il permet avant tout à Ray de se reconnecter avec son père décédé, avec qui il avait eu des relations tendues.
- Les Petits champions (1992, Etats-Unis), écrit par Steven Brill, illustre comment une équipe de jeunes joueurs de hockey, initialement désorganisée et peu motivée, apprend à travailler ensemble sous la direction d’un entraîneur réticent mais finalement investi, Gordon Bombay.
Le film aura droit à une suite deux ans plus tard, ainsi qu’à son adaptation en série en 2021 sous l’égide de Disney +.
- The Cup (1999, Bhoutan), écrit et réalisé par Khyentse Norbu, raconte l’histoire d’un groupe de moines tibétains déterminé à voir la finale de la Coupe du monde 1998 entre la France et le Brésil, qui entreprend de louer un téléviseur pour le monastère au fin fond de l’Himalaya – coûte que coûte.
- Coach Carter (2005, États-Unis), écrit par Mark Schwahn et John Gatins. Inspiré d’une histoire vraie, ce film met en lumière les valeurs éducatives et personnelles transmises par l’entraîneur de basketball Ken Carter, joué par Samuel L. Jackson, qui prend des mesures drastiques pour mettre en avant les études et le développement personnel de ses joueurs au-dessus de leurs succès sportifs.