L’art du Compagnonnage : un témoignage de Camille Duvelleroy et Fabien Adda


Camille Duvelleroy et Fabien Adda, ont tous deux été compagnon.ne.s lors de la première édition du Centre de compagnonnage en Occitanie. A travers cet entretien, ils reviennent sur leur expérience.

© Camille Duvelleroy : Nathalie Klimberg, ©Fabien Adda : Val Fayet

Pourquoi avoir décidé de devenir scénariste-compagnon.ne ?

Camille DUVELLEROY : Je crois profondément au partage d’expériences concrètes et dans le vif de ce qui se passe. Je n’aime pas trop donner de cours ou faire de la théorie. Cela m’a donc plu quand la Cité m’a proposé d’intégrer une personne dans la vie d’une production en cours. C’était concret, pragmatique et dynamique. Cela me permettait aussi de faire un pas de côté précieux. Alors que je suis à fond dans cette production depuis 2 ans, tout d’un coup, une personne nouvelle, un regard curieux permettent de prendre du recul, de clarifier des intentions, d’affiner des personnages.
Fabien ADDA : Quand j’étais scénariste débutant, Fabrice Gobert, alors showrunner de la série Les Revenants, m’a pris sous son aile, m’a fait confiance, m’a donné ma chance et m’a intégré dans son équipe d’auteurs. Depuis, j’ai toujours su qu’il me faudrait un jour rendre la pareille et donner à mon tour sa chance à un scénariste « émergent ». Et puis, plus égoïstement, je savais que cela pourrait aussi m’enrichir de rencontrer une autrice ou un auteur plus jeune, avec une autre vision du métier, du récit, du monde, et que j’aurais tout autant à apprendre d’elle ou de lui qu’à enseigner. 

En quoi cela a consisté pour vous ?

F.A : Tout s’est fait très naturellement et de façon très organique. Je parlais avec Alexia des différents projets sur lesquels je travaillais et à propos desquels j’allais la solliciter et les questions qu’elle me posait me permettaient à la fois d’évoquer ce qu’est le quotidien d’un scénariste professionnel (vendre des projets, des réunions avec les diffuseurs / producteurs, les ateliers d’écriture, les différentes étapes à franchir avant d’arriver enfin à la continuité dialoguée…) et d’entrer dans le concret du processus d’écriture (développer un récit, créer des personnages, envisager une structure, dégager des thématiques, confronter nos points de vue sur l’intrigue…). C’est donc au travers de multiples échanges que notre collaboration est née et s’est installée. 

C. D : On a d’abord pris le temps de se raconter qui nous étions. Meryem-Bahia a un univers très riche et sensible et j’étais ravie de le découvrir. On s’est vu tous les mois, on a pris le temps de discuter de tout et de rien pendant 2 heures à chaque fois. Je lui parlais de mes projets, de mes erreurs, de mes frustrations, de mes certitudes (toujours en mouvement). Meryem-Bahia m’a montré ses films, on a pris le temps d’en discuter. Elle m’a raconté ses envies, comment elle travaillait, comment le son la captivait. Meryem-Bahia a intégré l’équipe d’écriture de la saison 2 de ma série « Patience mon amour ». Elle a assisté à toutes les réunions, avec la production, avec la chaîne, avec ma co-scénariste. Elle a tenu le secrétariat d’écriture en livrant des comptes rendus d’une grande précision, c’était super utile pour avancer sereinement dans nos différentes versions d’épisodes.

Est-ce que ça a eu un impact sur votre travail, sur vos manières de travailler ?

C. D : Oui. Discuter de sa pratique artistique avec une personne comme Meryem-Bahia, ça a forcément un impact. Sa façon d’être aux autres, au monde, est inspirante. C’est une rencontre qui travaille sur le long court, pas forcément et spécifiquement sur le projet sur lequel elle a travaillé. Je ressors de cette collaboration avec la conviction encore plus forte qu‘il faut prendre le temps de discuter avec ses « collègues », j’entends par là, les gens qui font le même métier. Je ressens la nécessité de partager nos expériences, c’est une chose que l’on perd de vue parfois.

F.A : Absolument oui. Le regard que porte Alexia sur les personnages a profondément changé ma façon de les appréhender. Sa vision de femme, d’autrice libérée de certaines habitudes que j’avais prises dans ma façon d’écrire, m’ont permis d’avancer, de me challenger, de sortir un peu de ma zone de confort. 

Pouvez-vous nous parler de vos scénaristes-apprenantes ?

F. A : C’est difficile de répondre à cette question, c’est compliqué de parler de quelqu’un d’autre mais Alexia a selon moi toutes les qualités pour devenir une grande scénariste. Elle est curieuse, sensible, porte un regard extrêmement pertinent sur le monde, sur les rapports entre les hommes et les femmes, sur les luttes de pouvoir au sein de notre société et tout cela lui permet de travailler à la fois la caractérisation de personnages complexes et passionnants mais aussi de les confronter à des enjeux et des problématiques qui résonnent, quel que soit le genre de la fiction sur laquelle elle travaille, avec ce que vivent la plupart des gens au quotidien. Et c’est pour moi essentiel. Raconter une histoire sans donner au public venu l’écouter la possibilité de s’identifier à ceux qui la vivent, ça n’a pas de sens. 

Que pensez-vous avoir transmis à Alexia et Meryem-Bahia ?

F. A : Je ne sais pas exactement ce que j’ai réussi à transmettre mais j’espère avoir permis à Alexia de mieux comprendre la réalité du l’univers professionnel d’un scénariste, peut-être aussi la mécanique par laquelle on fait émerger du sol une histoire et comment on envisage sa structure comme un cadre qui délimite un terrain de jeu dans lequel il ne reste plus qu’à s’amuser, et puis peut-être la nécessité de penser « simple ». Dès qu’une histoire devient compliquée à écrire, c’est qu’elle n’est pas bonne, ou qu’on a pas trouvé le bon moyen de la raconter. 

C. D : Je suis autodidacte, ça fait peut-être parti de ce que je lui ai transmis, qu‘il y a plein de chemins pour aller vers ce que l’on veut. Le plus important, c’est de savoir ce que l’on veut, d’oser l’affirmer. Quand on est dans le doute, continuer à avancer, proposer, chercher. On écrit avec ce que l’on est. Ce que l’on est, compte.

Quels sont, selon vous, les atouts du compagnonnage pour l’insertion professionnelle de scénaristes émergents ?

F. A : Le réseautage avant tout. Si on n’est pas « coopté » dans ce milieu, ou si on est pas « un fils ou une fille de » c’est très compliqué de décrocher un premier contrat. Si Fabrice Gobert ne m’avait pas « imposé » sur l’écriture des Revenants, je ne sais pas combien d’années supplémentaires ma carrière aurait pu prendre avant de démarrer. C’est un milieu fermé, avec finalement peu d’auteurs qui vivent de leur métier. Donc le compagnonnage pour moi offre la chance à des scénaristes émergents de rencontrer plus vite et plus facilement des « gens du métier » et tisser ainsi des relations qui leur permettront de plus rapidement s’insérer, à condition bien évidemment qu’ils fassent leur preuve derrière.  

C. D : C’est la mise en pratique. Après la théorie, voir comment les autres travaillent, comment ils composent avec les différents interlocuteurs d’une production, d’une chaîne.

Un moment fort de vos compagnonnages avec Alexia et Meryem-Bahia ?

F. A : Le premier retour de lecture que m’a fait Alexia à propos d’un synopsis que je venais d’écrire pour un projet sur lequel nous travaillions tous les deux. C’était si juste, si pertinent, avec des propositions si enrichissantes, une vision si complémentaire de la mienne, et des réflexions si inspirantes, que j’ai compris à cet instant que travailler en collaboration avec Alexia allait permettre au projet de gagner fondamentalement en puissance. Nous avons les mêmes envies, les mêmes désirs, les mêmes visions d’une histoire, mais avec deux sensibilités différentes pour les raconter, ce qui va nous permettre de les rendre plus complexes, plus nuancées, plus complètes. En lisant son premier retour, j’ai su que je venais de trouver une formidable partenaire d’écriture. 

Question optionnelle : Et après ? Des choses de prévues avec Alexia et Meryem ?

C. D : Meryem-Bahia continue à suivre l’aventure de la saison 2 de Patience mon amour. Je la convie à tous les échanges « écriture » qui arrivent avant le tournage. Elle va aussi venir sur le tournage en juin, côté assistance mise en scène. Et puis on va continuer à se voir, tout simplement autour d’un café.

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